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Femmes et Sciences et Femmes de Sciences

Posté par Celia Capella 30 août 2019

Les femmes et les sciences, c’est une longue mais difficile histoire. Longue, parce que depuis toujours, les femmes ont participé à la compréhension de l’univers. Difficile, parce qu’elles agissent souvent dans l’ombre. Et pour cause, le monde des scientifiques ne s’est ouvert que très récemment à celui que l’on considère comme un sexe faible aussi bien physiquement qu’intellectuellement. 

Un héritage culturel lourd de conséquences 

Parmi les nombreux préjugés dont sont victimes les femmes, certains sont mieux connus que d’autres. Si vous connaissez tous celui sur la faiblesse musculaire, celui sur notre cerveau dépourvu de sens logique a su se faire oublier plus vite. Et pourtant, il n’est pas si vieux et impacte aujourd’hui encore la vision que l’on peut avoir de la science “au féminin”.  

Le type d’image que l’on trouve en tapant “femmes et sciences” sur Google image…  

Je ne vais pas vraiment développer ici le sujet des femmes de sciences dans l’histoire, mais l’on peut noter que jusqu’au XXe siècle, elles étaient tout simplement considérées comme incapables de raisonnement logique. Au siècle des Lumières, l’éducation scientifique n’était pas accessible au femmes, et lorsqu’elles s’instruisaient par elles-même, l’accès aux instruments tels que le microscope leur était tout simplement interdit. Les universités leurs étaient fermées, ainsi que les académies et les sociétés savantes. Difficile de devenir physicienne ou mathématiciennes dans ces conditions, et pourtant! Si certaines y sont parvenus, leurs noms restent malheureusement peu connus du grand public: avez-vous déjà entendu parler d’Emilie du Châtelet, mathématicienne, physicienne et femme de lettre des Lumières? Ou bien de Caroline Herschel, astronome du XIXe siècle?

Notamment, la “science” au XIXe siècle est responsable de nombreux stéréotypes de genre mais aussi de “races”. Il faut comprendre qu’à l’époque, les scientifiques tels que Paul Pierre Broca (1824-1880) liaient les capacités intellectuelles au volume de la boîte crânienne. On le sait, les femmes sont en moyenne plus petites que les hommes, et le corps est généralement proportionné. Conséquence : Pas de chance, la conclusion est sans appel : les femmes sont moins intelligentes que les hommes. Dans un article (pas très) rigoureux de 1861, il explique le résultat de ses “recherches” tentant de justifier le lien – déjà remis en question à l’époque – entre le volume du cerveau et les capacités intellectuelles. Il en déduit des hiérarchies intellectuelles entre les “nègres” et les “européens”, et bien évidemment entre les femmes et les hommes.

“Certes, je suis très-loin d’en conclure qu’il y ait un rapport absolu entre le l’intelligence et la capacité crânienne. […] Mais lorsque la différence est très-considérable, lorsqu’elle coïncide avec une inégalité intellectuelle tout aussi évidente on est bien obligés d’établir un rapport entre l’infériorité du cerveau et l’infériorité de l’esprit” 

Paul Pierre Broca

Dans cet extrait, on peut constater au moins deux expressions qui trahissent le manque de raisonnement scientifique : “on est bien obligés de” ou “évidente”. Ces expressions n’appartiennent en aucun cas au vocabulaire scientifique, qui se veut objectif et factuel. Ici, on considère comme “évident” un constat qui n’a jamais été démontré, et on l’utilise pour en tirer une conclusion “obligatoire”, loin d’être une déduction scientifique. Voilà un aperçu de la médecine du XIXe siècle, sur laquelle reposent malheureusement bon nombre des préjugés et de croyances populaires d’aujourd’hui.  

Non, ce n’était pas mieux avant. 

Le danger de ce type de raisonnement simpliste voire même purement et simplement faux, ce sont les conclusions tirées : si les différences sont biologiques, elles sont inéluctables et tout effort pour garantir l’égalité des chances est vain. Pendant plusieurs siècles, c’est sur ce type de principes que s’est fondée l’éducation et le monde académique.

A la fin du XIXe siècle, Matilda Joslyn Gage remarque que les contributions des femmes scientifiques sont dévaluées puis attribuées à leurs collègues masculins. Cet effet sera nommé l’effet Matilda en 1993 par l’historienne américaine Margaret W. Rossiter.

Plus tard, dans les années 70, c’est la théorie des hémisphères du cerveau qui a gravé plus profondément l’idée de différences inhérentes au sexe des individus. Selon les chercheurs de l’époque, l’hémisphère gauche serait spécialisé dans le langage et le droit dans la représentation de l’espace. Plutôt simple alors d’associer cette division du cerveau à une division des spécialités entre les hommes et les femmes. Les femmes seraient naturellement favorisées pour l’étude du langage, et les hommes pour les sciences « dures », les mathématiques et le raisonnement logique. Sauf que ! Aujourd’hui, cette théorie est largement remise en cause. Le cerveau a un fonctionnement bien plus complexe en réalité. Les études datant des dix dernières années ne montrent pas de différences entre les sexes, mais des différences très marquées entre individus. Plutôt que des femmes qui viennent de Vénus et des hommes de Mars, les scientifiques ont affaire à des personnes toutes différentes et qui semblent provenir de milliers de planètes différentes !  

Quand des différences peuvent être établies en fonction du sexe, elles s’expliquent beaucoup plus probablement par l’environnement que par des causes génétiques. Comme l’explique Catherine Vidal dans son ouvrage Le cerveau a-t-il un sexe ?, 90% des connexions dans le cerveau se créent après la naissance. Ainsi, le cerveau se développe tout au long de la vie et intègre “les influences de l’environnement, de la famille, de la société, de la culture”. 

“Hommes et femmes peuvent certes montrer des spécificités de fonctionnement cérébral, mais au même titre qu’entre un avocat et d’un rugbyman, une violoniste et une championne de natation. “ 

Catherine Vidal

Une étude de 2008 portant sur un test de mathématiques réalisé par 300 000 adolescent·e·s de 40 pays montre que l’écart de performance en mathématiques entre les garçons et les filles peut être lié à un indice d’émancipation des femmes, soulignant ainsi l’influence de la culture et de l’éducation.

Si pour beaucoup les mentalités ont évolué, il faut bien noter que ces considérations sur la soi-disant infériorité des femmes sont relativement récentes et ont laissé des inégalités bien visibles de nos jours.  

Des inégalités persistantes 

Si la part de femmes parmi les diplômés dans les STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) augmente lentement, les inégalités sont persistantes.

En France en 2019, le taux de femmes parmi les personnes occupant un poste de chercheur est de 27% d’après les données de l’UNESCO. Et notre chère patrie se place troisième pays d’Europe pour cette statistique… en partant de la fin. Le Royaume-Uni compte par exemple 38.7% de femmes parmi les chercheurs, et la Macédoine du Nord plus de 52%! Le constat est sans appel: les femmes sont sous-représentées.

Elles ne sont pas non plus épargnées par les écarts salariaux dans les métiers scientifiques. D’après l’observatoire IESF (Ingénieur et Scientifique de France) en 2017, les femmes ingénieures touchent moins que leurs collègues masculins… Et ce dès la sortie d’école. Etant moi-même bientôt diplômée d’école d’ingénieur, je dois admettre que le graphique suivant qui décrit les salaires des femmes et des hommes par tranche d’âge me noue un peu l’estomac.


Moins de femmes et des salaires moins élevés, et la liste n’est pas exhaustive: discrimination à l’embauche, plafond de verre, environnement de travail sexiste… Quel domaine accueillant pour les jeunes filles qui voudraient ce lancer dans ces métiers, autant dire une aventure !

Bien sûr, la situation évolue… Mais très lentement. Et pour cause, très peu d’actions concrètes sont réalisées pour intéresser les petites filles aux sciences, et encore moins pour les inciter à poursuivre des études et des carrières scientifiques par la suite. Actuellement, on compte sur les changements de mentalité pour faire évoluer la situation. Sauf que les télescopes pour enfants ou autres jouets liés aux sciences sont toujours situés dans les pages « bleues » des magazines de Noël, alors que les pages « roses » contiennent toujours les dinettes et autres kits de ménage.

Toujours pas de filles à l’horizon. (Capture d’écran pour une recherche Google Image « télescope pour enfant »)

La pop culture n’aide pas beaucoup à réhabiliter l’image de la femme scientifique. Si ces dernières années l’image du « nerd » a été remise à la mode, les clichés sexistes à son égard l’ont été aussi. Un exemple éloquent de la banalisation de la misogynie des milieux scientifiques est la série « The Big bang Theory », qui met en scène des physiciens gentiment machistes, une bimbo blonde qui n’a pas fait d’études et une femme scientifique collant aux pires clichés de laideur. Jusqu’au dernier épisode où, pour célébrer son prix Nobel, cette dernière s’offre… un relooking complet. Cet épisode, écrit en 2019, nous rappelle que le chemin est encore long à parcourir pour dissocier les femmes de leur apparence physique, et ce même quand elles obtiennent un prix Nobel.

La « revanche des nerds », peut-être… Mais pas celle des femmes.

Attendre le changement de mentalité pour espérer des vocations chez les petites filles… Pas gagné. Mais alors, que faire?

Vers une égalité des chances

Dans ce paragraphe, je vais évoquer des pistes et des solutions qui, d’après moi, pourraient faire changer les choses. De nombreux organismes travaillent sur le sujet, par exemple l’UNESCO ou l’ONU Femmes, qui financent des études sur le sujet, des rapports pour les politiques ou encore des conférences. Ces groupes de réflexions proposent différents axes d’amélioration, je vais décrire ici ceux qui m’intéressent le plus.

  • Favoriser des vocations chez les jeunes filles pour la science. Réaliser des actions de sensibilisation dans les écoles: conférences sur le sujet, journées de rencontre avec des femmes scientifiques. Je peux évoquer ici une expérience personnelle: lorsque j’étais en seconde, Orange organisait des journées de « stage » à destination des jeunes filles. Le concept était de passer une journée avec une femme ingénieure travaillant chez Orange. Cela peut sembler minime comme action, mais personnellement j’ai découvert le codage informatique et j’ai appris à démystifier ce domaine, qui dans mon imagination d’enfant était réservé à des « geeks à lunettes », masculins évidemment. Cette journée a été déterminante sur mon orientation, car elle a ouvert dans ma tête des portes qu’inconsciemment je croyais fermées.
  • Réhabiliter l’image des femmes scientifiques dans la pop culture. Non, elles n’ont pas toutes les cheveux gras, mais elles ne sont pas non plus obligées d’être des canons nues sous leurs blouses. En fait, elles aimeraient être définies par ce qu’elles réalisent et non pas par leurs apparences. Comme les hommes en réalité!
  • Mettre en avant des femmes scientifiques, des « role model » pour les jeunes filles. Pour se projeter dans un métier ou un milieu, avoir un modèle auquel on peut s’identifier aide beaucoup. Actuellement, ces modèles sont presque exclusivement masculins, alors que les femmes inspirantes sont nombreuses. Je vous propose ici quelques exemples de femmes scientifiques qui personnellement m’inspirent beaucoup :

Merritt Moore, chercheure en physique quantique et danseuse classique professionnelle. C’est un peu la « Superwoman » de cette liste, qui montre que rien n’est impossible, même quand il s’agit d’allier une carrière scientifique et artistique. Vous pourrez la trouver sur les réseaux sous le nom de Physics On Pointe: http://physicsonpointe.com/about

Fabiola Gianotti, physicienne des particules. Elle est devenue en 2016 la première femme à la tête de l’Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire (CERN).

Son profil plus détaillé sur le site du CERN: https://home.cern/fr/about/who-we-are/our-people/biographies/fabiola-gianotti-born-1960-italian

Claudie Haigneré est depuis 1996 la première et unique femme française à avoir séjourné dans l’espace. Médecin rhumatologue, elle est titulaire d’un doctorat en neurosciences. Après ses deux missions en tant que spationaute, elle a été Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies puis Ministre déléguée aux Affaires européennes. Médecin, spationaute et ministre : de plutôt belles carrières !

Je vous ai présenté ici des femmes assez exceptionnelles, excellentes dans leurs domaines. Le monde des STEM compte bien plus de ces femmes! Mais la communauté scientifique est également riche de femmes dans tous les domaines, de tous les niveaux et de tous horizons. Je vous invite à découvrir les réseaux de femmes scientifiques sur les réseaux sociaux, comme le compte Instagram « Women Doing Science » qui permet de rencontrer chaque semaine de nouvelles femmes qui montrent leur quotidien sur le réseau. Aujourd’hui, de nombreuses conférences sont réalisées sur le sujets, des livres, de véritables communautés de soutien entre femmes scientifiques se créent sur les réseaux.

Le futur est prometteur pour la féminisation des sciences, et j’espère pouvoir ré-écrire ce genre d’article dans quelques années faisant le constat d’une parité dans les laboratoires et chez les ingénieur·es. Il est du devoir de chacun·e de favoriser ce changement, en condamnant les stéréotypes de genre et en mettant en avant les travaux des femmes dans ces domaines. En tant que femmes travaillant dans les sciences, nous devrions montrer un certain exemple en revendiquant haut et fort nos carrières et nos réussites, notamment auprès des jeunes filles de notre entourage. Et pour les garçons, pas de panique : aucune guerre des sexes n’est lancée, alors n’hésitez pas à soutenir vos collègues féminines !

Sources:

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