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Etre prof, c’est un métier

Posté par Marie 2 janvier 2019

Dans cette période de troubles pour les enseignant.e.s en France, il est de moins en moins rare que certains sujets de conversation tournent en boucle dans vos repas de famille divers et variés : la réforme du Bac, le mouvement #Pasdevague…. Si vous êtes prof, comme moi, ou si vous avez des profs dans votre entourage proche, vous ne serez pas sans savoir que le métier d’enseignant est un métier qu’on emporte partout avec nous : beaucoup de travail s’effectue à la maison, et il est fort difficile de  placer deux profs autour d’une même table sans que leur conversation ne s’oriente immédiatement vers leurs élèves, leurs points de mutation, leur fatigue mutuelle…

Parmi ce brouhaha général entourant l’enseignement, il existe une petite voix persistante qui accompagne les profs de leur première titularisation jusqu’à leur retraite : « Prof, c’est un métier de planqué ! Autant de vacances pour si peu d’heures par semaine, j’en rêve ! ». Ce genre de commentaires, pourtant d’apparence si anodins, ont une nette tendance à me faire perdre mon sang froid. Car être prof, ce n’est pas un métier de planqué.

Nous souffrons de la pression constante des médias et de la politique qui aiment rappeler sans cesse que « L’école est le lieu où tout se joue, où les jeunes citoyen.ne.s se construisent et développent leur esprit critique » etc. Kevin Machin fait beaucoup de fautes d’orthographe ? C’est la faute de son/sa prof de français ! Léa Bidule ne sait pas distinguer une fake news ? C’est la faute de son/sa prof d’histoire ! Jules Trucmuche est mauvais en calcul mental ? C’est la faute de son/sa prof de maths !

Loin de moi l’idée de dénigrer le rôle de l’école, bien au contraire. Un.e adolescent.e lambda en France passe près de 35 heures dans son collège : c’est donc là qu’une grande partie de sa construction psychologique et intellectuelle se joue. Nous avons pour mission d’accompagner cet.te élève en l’aidant à découvrir des choses nouvelles, à intégrer certaines valeurs de rapport à l’autre, en lui conférant des outils de base qui l’aideront, plus tard, à manipuler ses savoirs et à les appliquer. Cela demande du temps (pour un prof débutant, 1h de cours demande en moyenne 2h de préparation, sans compter les corrections et les réunions), beaucoup d’énergie (avez-vous déjà essayé de parler 1h sans vous arrêter tout en surveillant 30 adolescents tout en essayant de leur apprendre des choses ? ), et surtout une sacré dose de motivation. Puisque face à toutes ces problématiques de l’enseignant.e, face à cette pression médiatique et politique, le taux de reconnaissance est médiocre. Le salaire, qui n’augmente presque pas avec le temps, est ridicule lorsque comparé à l’immense responsabilité des enseignant.e.s qui est si souvent prônée ; l’absence de contrôle sur la mobilité est extrêmement compliquée à gérer. Un.e jeune prof peut être envoyé n’importe où en France et ne peut pas refuser ce poste sous peine de radiation : ainsi, pour beaucoup, leurs premières années s’effectuent loin de leurs familles ou ami.e.s, en zone de remplacement éparpillé.e sur deux voire trois établissements en banlieue parisienne.

Bien sûr, ce métier a de nombreux avantages qu’il ne faudrait pas nier. Mais lorsqu’on constate l’asphyxie générale des établissements secondaires qui manquent cruellement de profs, notamment dans les lieux les plus défavorisés, et lorsqu’on s’aperçoit que le nombre de candidat.e.s  au concours du CAPES diminue d’année en année, on rit jaune. « Ah oui ? Etre prof c’est si facile que ça ? Alors rejoins-nous s’il-te-plaît, parce qu’on a besoin de toi ! » ai-je souvent envie de rétorquer.

Mais la triste vérité, c’est que le nombre de places au CAPES diminue progressivement également (si vous souhaitez regarder des chiffres plus précis je vous recommande cet article ) et que face à cette pénurie les professeurs doivent s’adapter au mieux en acceptant des heures supplémentaires qu’ils ne voulaient pas, en faisant cours, pour les profs de lycée, à des classes de plus de 35 élèves, et en voyant le nombre de contractuel.le.s augmenter chaque année.

Contractuel(le) : nm,  Agent non fonctionnaire d’un service public auquel il est lié par contrat

Les contractuel.le.s, c’est en quelque sorte le produit de la rencontre entre le Ministère de l’Education et le Ministère de l’Economie et des Finances. De manière à faire des économies, l’Education Nationale fait massivement appel à ces enseignant.e.s ayant suivi une formation autre que celle exigée des certifié.e.s (ayant eu le CAPES) ou des agrégé.e.s. Dans les académies qui manquent le plus cruellement de professeurs, comme Créteil ou Versailles, n’importe qui étant titulaire d’un Bac+3 peut devenir contractuel.le dans la matière qu’il ou elle souhaite. Vous ne me croyez pas ? Regardez donc cette émission diffusée en novembre 2016 sur le sujet.

Un.e contractuel.le coûte moins cher à l’Etat, et aux établissements : c’est pourquoi, en France, beaucoup de postes sont officieusement réservés aux contractuel.le.s. Si bien que beaucoup de profs certifiés n’y ont pas accès. Le problème de ce fonctionnement à deux vitesses, c’est qu’il dévalue d’autant plus le métier d’enseignant.e, pour lequel certain.e.s auraient besoin de deux ans de formation mais que d’autres exercent sans aucune formation universitaire. Alors, comment le système éducatif peut-il continuer à affirmer qu’être prof c‘est un métier qui s’apprend alors que certain.e.s le sont sans être passé.e.s par la case « Master et CAPES » ?

Pourtant, être prof, c’est bel et bien un métier qui s’apprend. Tout d’abord, il est impossible d’être un.e bon.ne pédagogue si on ne maîtrise pas complètement le sujet que l’on cherche à enseigner : certain.e.s élèves posent des questions très pointues, et pour les points de cours complexes il est difficile d’être clair.e si on est soi-même pas sûr.e  de ce que l’on dit. En outre, une connaissance solide des programmes et du niveau attendu des élèves de chaque niveau est plus que nécessaire si on veut contribuer à un apprentissage fluide pour les élèves, sans imposer un niveau trop élevé sans s’en rendre compte, et sans en laisser certain.e.s se perdre progressivement.

Mais la plus grande difficulté de l’enseignement ne réside pas dans le contenu disciplinaire. La plus grande difficulté, c’est de savoir gérer une classe et communiquer avec ses élèves de manière à instaurer une relation pédagogique de confiance et de respect mutuel. Savoir gérer un groupe de 30 élèves, tou.te.s différent.e.s et présentant un éventail non-exhaustif de personnalités, de difficultés et de facilités est une compétence qui s’apprend à l’aide d’une formation progressive, avec des apports en communication et en pédagogie universitaire, et , surtout, à l’aide d’une année de stage au cours de laquelle nous sommes suivi.e.s par une tuteur / une tutrice expérimenté.e.

En fait, le statut de contractuel.le met en péril le métier d’enseignant fonctionnaire tout en jouant aux dés avec l’éducation des élèves : bien que certain.e.s contractuel.les soient très compétent.e.s, d’autres, par manque de formation et de connaissances, peuvent avoir un impact extrêmement négatif sur la scolarité des élèves. Et cela engendre une compétition malsaine entre profs certifié.e.s et contractuel.le.s au sein des établissements, chose désagréable et inefficace.

Bien sûr, il existe des contractuel.le.s bien plus compétent.e.s que certain.e.s profs, du fait de leur charisme naturel ou de leur forte capacité à transmettre des savoirs. Et ce n’est pas elles ou eux, ou la manière dont ils/elles exercent leur métier, qu’il faut remettre en question, mais bien l’image même de la profession qui est véhiculée à travers l’existence même de ce statut. Si un Bac+5 et un concours sont nécessaires pour certain.e.s, et qu’un Bac+3 de n’importe quelle matière l’est pour d’autres, comment peut-on affirmer en restant crédible qu’un.e prof a besoin d’une formation sérieuse ?

Etre prof, c’est un métier. C’est un beau métier certes, c’est un métier épuisant certes, mais ça reste une profession qui nécessite une formation rigoureuse et un sacré budget, n’en déplaise à certain.e.s….

2 Commentaires

Olivia 9 février 2019 at 20 h 04 min

Bonsoir,
J’aime beaucoup ton article. Je suis contractuelle (j’ai un master MEEF, j’ai raté le CAPES 2 fois, je le retente cette année). C’est vrai qu’il y a un manque de formations pour certains contractuels. C’est dommage mais il y a aussi une hypocrisie du système. Je vois beaucoup de contractuels très compétents, avec de très bons rapports d’inspection, pourtant ils ne sont jamais admis au CAPES interne. L’Etat veut faire des économies et préfère laisser de bons professeurs dans la précarité. Je trouve cela injuste.

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Marie 11 février 2019 at 11 h 24 min

Bonjour,
Merci beaucoup! En effet, ce système à double vitesse crée des inégalités à tous les niveaux. Le statut précaire des contractuel.le.s (salaire pas du tout à la hauteur, pas de sécurité de l’emploi, abus du rectorat etc) arrange bien l’EN car il leur permet de faire des économies. A côté de ça, ils prêchent l’importance de l’éducation sans pour autant prendre en charge la formation desdit.e.s contractuel.les. La solution est pourtant si simple: augmenter le nombre de postes au CAPES plutôt que de le réduire chaque année, arrêter l’hypocrisie et le manque de transparence vis à vis des contractuel.le.s (peu de gens hors de l’EN savent ce que c’est!!).

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