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Cyrielle, championne d’échecs

Posté par Celia Capella 14 mars 2019

A 5 ans, Cyrielle Monpeurt commençait à jouer aux échecs ; à 7 ans, elle participait à ses premières compétitions. Championne de France Juniores en 2014, elle est aujourd’hui titulaire de l’équipe de Metz qui évolue en première division dans le domaine, et a terminé 8ème des derniers championnats de France toutes catégories. En interviewant Cyrielle, j’ai découvert le milieu peu connu et encore très genré des échecs en compétition.

Cyrielle vient de finir ses études en grande école d’ingénieur après un cursus très exigeant en classes préparatoires. Non contente d’avoir passé la journée à torturer son esprit avec de l’algèbre linéaire et autre physique quantique, le soir venu, elle s’assoit à nouveau pour son entraînement quotidien. Au moins une heure par jour d’échecs pour maintenir son niveau.

Grâce à ce sport, elle voyage pour ses compétitions, se fait plaisir en consacrant beaucoup de temps à cette passion. C’est aussi un moyen d’après elle d’améliorer sa mémoire, ses capacités de calcul, sa concentration, sa logique.

Au delà des études, les échecs m’ont beaucoup aidé dans la vie en général puisque aux échecs, comme dans la vie, on doit souvent analyser les situations et faire des choix.”


Cyrielle Monpeurt

Le jeu d’échecs est un des jeux de stratégie les plus populaires au monde. Introduit en Europe au Xe siècle par les Arabes, il est considéré en France comme un sport par le Ministère de la Jeunesse et des Sports depuis 2000.

Gregory Chamitoff à bord de l’International Space Station

Et comme je ne peux pas écrire un article sans évoquer l’espace, je vous offre une anecdote qui fera mouche lors de votre prochain apéritif dinatoire. En 2008, Gregory Chamitoff gagne la première partie d’échecs depuis l’espace, contre un joueur terrien. Ainsi, si l’on peut trouver des plateaux d’échecs presque partout dans le monde, l’un d’entre eux a quitté la Terre pour orbiter à 400 km au dessus de nos têtes.

On a souvent beaucoup de clichés en tête lorsque l’on imagine un·e champion·ne d’échecs. Pour commencer, on imagine quelqu’un à l’esprit analytique, travaillant souvent dans le domaine scientifique. Sur ce point, Cyrielle ne nous surprend pas. En revanche, un point fondamental la différencie des autres joueurs d’échecs : elle est joueuse d’échecs.

En 2012, seules 8,51% des personnes classées par la Fédération Internationale D’Echecs (FIDE) étaient des femmes. Ainsi, les femmes sont également moins représentées dans le haut du classement élo, le système d’évaluation international du niveau de jeu. La joueuse hongroise Judith Polgar est à ce jour la seule femme à avoir atteint le top 10 mondial, en 2005.

Pourtant, comme le rappelle Judith Polgar:

Je dis toujours que les femmes devraient être suffisamment confiantes dans le fait qu’elles jouent aussi bien que les hommes, à la seule condition qu’elles soient prêtes à autant travailler et à prendre cela aussi sérieusement que les joueurs masculins.

Judith Polgar

Cette inégalité dans le milieu des échecs, Cyrielle l’interprète comme similaire à celle que l’on rencontre dans les domaines scientifiques:

Je pense que les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans ce domaine (ni dans aucun autre d’ailleurs). Filles ou garçons, les enfants partent avec un potentiel identique. Mais en grandissant, ils vont inconsciemment, par une accumulation de détails, développer des centres d’intérêt différents. Dans le monde du jouet par exemple, tout est fait pour séparer les filles des garçons et l’univers est loin d’être neutre. Les jouets des garçons renvoient au domaine professionnel (jeux de construction, de guerre, etc) alors que ceux des filles renvoient au domaine domestique. Les représentations des garçons comme forts en maths et des filles comme littéraires trouvent leur origine ici. Les hommes et les femmes sont inconsciemment conditionnés par la société. Selon moi le manque de filles dans le milieu du jeu d’échecs est un phénomène sociétal et non une question de différence d’intelligence.

Cyrielle Monpeurt

La plasticité cérébrale au moment de l’enfance développe très tôt certaines capacités au détriment des autres. Dès les premiers pas, les centres d’intérêts ont tendance à être genrés.

Les filles sont donc rarement incitées à devenir des championnes d’échecs (ou encore scientifiques), et les préjugés persistants contre elles ne rendent pas ces domaines accueillants.

Je connais certains hommes qui préfèrent jouer contre les femmes car selon eux elles ont une façon différente de jouer aux échecs et sont souvent surclassées au classement élo du fait qu’elles jouent principalement entre elles.

Cyrielle Monpeurt

Si des compétitions exclusivement féminines sont organisées dans le but d’inciter les femmes à pratiquer ce sport à haut niveau, le nombre de joueuses demeure largement inférieur au nombre de joueurs. De nombreux chercheurs se sont penchés sur le sujet, je vous propose dans les sources quelques articles si le sujet vous intéresse.

D’après un article publié en 2009 par la Royal Society, le faible nombre de femmes dans le haut des classements s’explique principalement par leur faible taux de participation.


Distribution des joueurs allemands en fonction de leur classement [Source: Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains, Merim Bilalić, Kieran Smallbone, Peter McLeod and Fernand Gobet, Proc Biol Sci, 2009)]

Explications: lorsque l’on étudie la répartition les classements élo des joueurs d’échecs, on retrouve beaucoup de personnes de niveau “moyen” et peu de personnes “très mauvaises” ou “excellentes” (voir le graphe précédent).

C’est cette dernière catégorie qui nous intéresse, car elle représente justement les champions. Or plus la population étudiée est petite, moins les extrêmes sont nombreux.

Les personnes les plus performantes sont plus susceptibles de faire partie du groupe le plus important. Plus la différence de taille entre les deux groupes est grande, plus il faut s’attendre à ce que la différence soit grande entre les meilleurs des deux groupes.


Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains ,Merim Bilalić, Kieran Smallbone, Peter McLeod and Fernand Gobet, Proc Biol Sci, 2009)

Les femmes ne seraient donc pas naturellement moins douées pour les échecs, mais l’échantillon de population qu’elles représentent en compétition n’est pas assez grand pour multiplier les exemples d’excellentes joueuses. Pour Cyrielle, il n’y a pas de réel plafond de verre : elle cite des femmes dans le top niveau mondial pour appuyer son propos, telles que Judith Polgar ou encore la joueuse chinoise Hou Yifan.

Cette approche statistique peut en réalité s’adapter à de nombreux autres domaines dans lesquels le taux de participation des hommes et des femmes diffère grandement. Si l’on en croit les chercheurs, cette analyse statistique des performances  laisse peu de places aux éventuelles différences biologiques, même si ces autres domaines ne peuvent être étudiés avec autant de précision que peut l’être le jeu d’échecs en compétition.

Rencontrer Cyrielle m’a permis de découvrir un domaine passionnant et relativement peu connu du grand public, dans lequel les capacités de concentration et intellectuelles sont sans cesse mises à l’épreuve. Mais plus encore, ce sport représente pour les scientifiques un véritable laboratoire pour étudier l’influence du genre dans les domaines désertés par les filles. Il est important pour le futur de ces domaines d’inciter les jeunes filles à les rejoindre, par exemple en leur présentant des modèles féminins. Il faut donc reconsidérer les stéréotypes de genre qui désintéressent la moitié de la population de certaines disciplines.

Sources:

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