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Les femmes astronautes, entre inspiration et hypocrisie

Posté par Celia Capella 30 novembre 2019

Là-haut, dans l’espace, il n’y a pas de frontières. C’est du moins ce que raconte Thomas Pesquet sur tous les plateaux de télévision depuis son retour, alors moi, je le crois. Pas de frontière entre les pays, c’est certain : dans la station spatiale internationale (ISS), 16 pays collaborent pour mener des expériences scientifiques en apesanteur. À tout moment, si l’on regarde combien il y a de personnes dans l’espace, on retrouve en général deux ou trois américains, deux ou trois russes et une autre nationalité, souvent chinois ou européen.

Volontairement, je n’ai pas utilisé d’écriture inclusive ici : si plus de 500 personnes sont allées dans l’espace depuis le premier vol habité, seules 64 sont des femmes. Pas de frontières donc, mais des inégalités bien réelles.

Le sujet des femmes astronautes est très vaste, car il en dit beaucoup sur la vision des femmes dans les milieux techniques et scientifiques. En Octobre 2019, deux femmes ont fait une sortie extravéhiculaire historique : pour la première fois, elles n’étaient pas accompagnées d’un homme. Cette sortie a bénéficié d’une grande couverture médiatique malgré la déception survenue le 8 mars dernier, date à laquelle la sortie qui devait avoir lieu s’est soldée par un échec à cause d’un problème de garde-robe (l’ISS n’était équipée que d’une combinaison adaptée pour deux astronautes). Le « femwashing » s’étend jusqu’à la NASA, dont le service de communication ne s’était pas privé avant le 8 mars d’emplir la presse et les réseaux sociaux de cette nouvelle qui montrait une conquête spatiale moderne et inclusive.

L’évolution de la présence féminine dans l’Histoire

Vous voulez dire qu’il n’y a pas plus de femmes dans l’espace maintenant qu’en 1979?

Le cinéma nous montre depuis bien longtemps des vaisseaux spatiaux aux équipages quasi-mixtes, au sein desquels les femmes jouent des rôles principaux. On se rappelle de Sigourney Weaver dernière survivante dans « Alien, le huitième passager », ou plus récemment de Sandra Bullock seule dans l’espace après la destruction de la station spatiale. En faisant mes recherches pour écrire cet article, j’étais convaincue que je trouverais un nombre croissant de femmes parmi les astronautes. Je voulais tracer un graphique mettant en avant cette évolution positive, inspirante comme les interviews et articles sur les femmes astronautes.

Cette illusion s’est envolée vers les étoiles après quelques recherches. Les pages Wikipedia recensant les noms des hommes et des femmes envoyé·e·s dans l’espace depuis le premier, Youri Gagarine en 1961, montrent la triste vérité. Depuis 1983 et la première astronaute américaine Sally Ride, les femmes font régulièrement partie des équipages mais n’ont jamais représenté plus du quart de ceux-ci. Dans le graphique que j’ai finalement tracé, on constate également que la tendance n’est pas à l’augmentation de cette proportion.

Les données sont tirées de Wikipedia, et différents points peuvent être soulevés :

Valentina Terechkova, première femme de l’histoire à être allée dans l’espace
  • La première femme à voyager au dessus de la limite de l’atmosphère est Valentina Terechkova, cosmonaute soviétique. Ce vol survient seulement 2 ans après celui de Gagarine. Il vient clore le programme Vostok dont l’objectif était de montrer la supériorité de l’URSS sur les Etats-Unis en plein contexte de Guerre Froide. L’image véhiculée à l’époque est très claire : pour ce dernier vol, on veut montrer que la société soviétique n’oublie pas les femmes. Or aucune femme ne repartira dans une fusée russe avant 1982 et la cosmonaute Svetlana Savitskaïa. C’est après ce deuxième vol que Sally Ride franchit les frontières de l’espace, marquant le début d’une vraie présence spatiale des femmes.

  • A partir de 1983, le nombre d’astronautes envoyés par an décolle (sans mauvais jeu de mot). Cette augmentation est due au début du programme des navettes spatiales de la NASA. L’une des premières, Challenger, comptait 7 membres d’équipage contre 2 personnes dans un Soyouz à l’époque. Après 9 vols couronnés de succès, le dixième se solde après 73 secondes par une explosion en plein vol de la navette et de son équipage. Cet accident correspond au creux dans le nombre de personnes envoyées en 1986. Par la suite, la navette originelle Columbia permet toujours de relier la Terre à l’espace, mais un nouvel accident à l’impact médiatique désastreux survient en 2003. La navette suivante Atlantis est chargée de terminer l’assemblage de la Station Spatiale Internationale (ISS), et le programme est définitivement clôt en 2011. Depuis, seul le Soyouz russe permet d’envoyer des humains dans l’espace, trois par trois : cela explique le faible nombre d’astronautes depuis.
  • A ce jour, des femmes de nombreuses nationalités ont pris part aux missions spatiales. Pour n’en citer qu’une, la française Claudie André-Deshays, épouse Haigneré, a effectué son premier vol en 1996, soit plus de 20 ans après la première américaine. Aujourd’hui ambassadrice et conseillère auprès de l’agence spatiale européenne , elle est médecin, docteur en neurosciences et a été à la tête de deux ministères.
Liu Yang, première taïkonaute de l’histoire

Etre astronaute quand on est une femme, ce n’est pas impossible. Mais si la sélection est quasiment impossible pour le commun des mortels, tous genre confondus, elle s’avère parfois plus difficile pour les femmes. L’histoire récente de la première taïkonaute (nom donné aux astronautes chinois) en est un exemple aussi absurde que désolant. En 2012, la Chine s’offre à son tour son coup de communication : la grande nation asiatique enverra une femme dans l’espace. Mais pas n’importe laquelle! D’après un article de 2012 paru sur le site de Libération, les critères de sélection étaient… contestables. On cite la nécessité d’être mariée pour une meilleure maturité du corps et de l’esprit, un accouchement par voie basse pour garantir la résistance à la douleur, une haleine fraîche, des dents blanches et des pieds qui ne soient pas calleux pour être de compagnie agréable à bord de la station spatiale. Si cette information a été démentie par la suite, difficile de savoir quelles étaient effectivement les règles de sélection. Ce qui est certain, c’est que la grande gagnante de cette sélection, Liu Yang, était une femme brillante, pilote de chasse, aux dents blanches, mariée et ayant accouché. L’internet ne m’a malheureusement pas plus appris sur l’état de ses pieds ou de son haleine.

Les femmes sont-elles inadaptées au vol spatial?

Quand je parle de ce sujet avec mon entourage, la réaction est souvent la suivante : « Si il y a moins de femmes astronautes, c’est parce que c’est plus difficile pour les femmes. Comme les sous marins, l’ISS est adaptée aux hommes, et pas aux femmes« . Ce qui pourrait être en partie vrai… sauf que.

Une des différences physiologiques principales entre les hommes et les femmes en terme d’hygiène sont les règles. J’avoue ne pas avoir trouvé d’information concernant le système adopté par les femmes là haut, mais j’ai appris que seul les toilettes de la partie russe de l’ISS sont équipées pour ce « problème ». Il est donc bien possible de gérer ses règles dans l’espace (après tout, on les gère bien dans tous les contextes de notre vie terrestre). Un problème évoqué est celui de l’intimité des femmes qui, ayant recours aux toilettes russes, laissent comprendre à leurs coéquipiers que « les anglais ont débarqué ». Sauf que ce problème n’en serait pas un sans le tabou puritain et injustifié envers ce mécanisme corporel qui n’a rien de honteux. On peut imaginer que des astronautes sont tout à fait capables d’assez de maturité pour ne pas être choqués de savoir leur collègue dans cette situation.

Concernant les sorties en dehors de la station, elles sont généralement masculines car les rayonnements cosmiques sont soupçonnés d’endommager les gamètes (ovules et spermatozoides). On déconseille ainsi aux femmes ayant été exposées d’enfanter par la suite. Mais qu’en est-il des hommes? Et la solution de la préservation de gamètes avant le départ pour l’espace n’est il pas envisageable?

Un dernier aspect est le fait qu’une femme seule au milieu d’un groupe d’hommes est déstabilisante, à cause des tensions sexuelles probablement générées. Je pourrais répondre que ce problème n’existerait pas dans des groupes exclusivement féminins, mais on me traiterait de « féminazie » alors je me contenterai du constat fait par les scientifiques : la production d’hormones sexuelles (oestrogènes, testostérone, etc.) est diminuée dans l’espace. Il est donc tout à fait imaginable que notre groupe d’hommes ne soit pas déstabilisé outre mesure par la présence d’une personne tierce, si cette dernière n’est pas par défaut vue comme potentielle partenaire sexuelle.

En ce qui concerne les équipages que l’on imagine décoller pour Mars un jour, un certain nombre de chercheurs émettent l’idée que des équipages exclusivement féminins seraient à favoriser sur des équipages masculins. D’après un article de Courier International tiré d’un article du Daily Telegraph, « Les expéditions envisagées imposeront aux astronautes de passer une très longue période dans une capsule exigüe et donc dans une grande promiscuité. Et, à en croire certains psychologues, un équipage entièrement composé de femmes serait le mieux adapté à une telle aventure ». Il semblerait que les femmes « ont tendance à être plus tolérantes (…), dans les équipages, la concurrence semble moins acharnée et l’atmosphère est moins tendue« .

Reste donc à améliorer la connaissance des effets de l’espace sur le corps des femmes… Ce qui semble compliqué avec seulement une femme envoyée par an contre 5 ou 6 hommes.

Femmes ou hommes… Pourquoi aller dans l’espace?

De manière générale, le sujet de la présence humaine dans l’espace fait débat. Depuis la fin du programme Apollo, l’humain n’a pas quitté l’orbite terrestre basse. Le coût élevé de l’entretien de la Station Spatiale Internationalelaboratoire scientifique orbitant à 400 kilomètres au dessus de nos tête – fait des septiques. Si les recherches poursuivies là haut concernent aussi bien la physique fondamentale que la médecine et contribuent aux avancées technologiques, l’ambition de tester l’adaptation de l’homme à l’espace est l’un des principaux enjeux. Or ce but est polémique : dans un contexte où l’on peine à contrôler l’impact des nouvelles technologies sur Terre, en développer des nouvelles pour explorer les milieux hostiles hors de notre planète est-il une priorité?

Aujourd’hui, l’un des rôles des astronautes est de se faire ambassadeurs du progrès scientifique par la collaboration internationale, mais aussi de l’émerveillement offert par les prouesses technologiques. Leur qualité de communiquant est sans doute aussi importante que leur préparation physique et leur formation académique. Dans ce cas, la question de la représentation féminine est d’autant plus importante. Les astronautes représentent des modèles de réussite ( Thomas Pesquet n’est-il pas le gendre parfait? ). Offrir des modèles féminins dans ce milieu qui est au coeur des sciences et technologies est d’après moi essentiel si l’on veut rattraper les inégalités dans ces domaines, et le résultat de mes recherches à ce sujet me laisse penser que les progrès restent à faire.

Sources

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