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Eglise de Kernescléden : danse avec la mort !

Posté par Ju le Zébu 19 août 2018

Au cœur du Pays de Morvan, dans le Morbihan (56), fleurissent à la fois les arbres centenaires (anciens objets ou lieux de culte païen ? ) et les chapelles et les églises. Toutes sont charmantes dans leur style assez typiquement breton et certaines recèlent de véritables trésors. C’est le cas de l’Église Notre-Dame de Kernescléden (ou Kernaskleden).

Il s’agit d’une chapelle de style gothique construite durant le 15ème siècle sur les terres de la famille de Rohan qui en finance en grande part la construction. Les Rohan sont durant le Moyen-Âge l’une des familles les plus influentes de Bretagne.

L’édifice, qui sera agrandi par la suite, possède une belle façade sculptée mais le plus impressionnant se trouve en son sein. En effet, la nef est ornée de très riches fresques, très bien conservées, très colorées, représentants d’une part la vie de Marie (d’après des textes apocryphes) et d’autre part, la vie de Jésus.

Dans le bras sud du transept, c’est-à-dire l’aile droite lorsqu’on se trouve face à l’autel, se trouve une scène pour le moins surprenante qui dénote de la luminosité des scènes précédentes : des squelettes, des objets de torture (tonneau, roue…) et les flammes de l’Enfer !

Les fresques sont dans un état plus fragmentaire, bien que restaurées récemment. On trouve là une représentation des Enfers dans laquelle les suppliciés subissent diverses tortures mais le ton semble presque humoristique. Un autre pan de mur est plus intriguant. Sur celui-ci, bien que de manière parcellaire, se succèdent des squelettes et des hommes dans une curieuse farandole. Il s’agit d’un motif peu connu (pour les néophytes que nous sommes!) du Moyen-Âge : une danse macabre.

La représentation des Enfers et la danse macabre de Kernescléden auraient été réalisées entre 1440 et 1460. On doit leur (re)découverte à un archéologue amateur, un médecin, qui dans les années 1950 visitait l’Église. Intrigué par une tâche qu’il perçoit sur le mur alors recouvert d’un enduit, il se met à le gratter et révèle petit à petit les Enfers ensevelis. Viendront ensuite les squelettes dansants.

Si nous connaissons si mal le motif de la danse macabre, c’est notamment parce qu’il s’agit d’un événement culturel et artistique particulièrement ancré dans un contexte historique (fin du Moyen-Âge) et qui ne s’est pas répété par la suite dans histoire de l’art.

Une danse macabre consiste en une « farandole » de squelettes ou corps en putréfaction qui entraînent successivement des hommes dont le statut social est clairement identifiable (pontife, roi, évêque, ( …) bourgeois, paysan) vers la mort. Les vivants sont entraînés dans l’ordre de la hiérarchie sociale en alternant un ecclésiastique puis un laïc.

Les danses macabres apparaissent à la fin du 15ème siècle. À cette époque, la mort est omniprésente. En effet, suite à la Peste Noire (milieu du 14ème siècle), la Guerre de Cent ans (1337-1453) mais aussi de nombreuses disettes et famines, la population européenne est complètement décimée. La Peste, à elle seule, aurait tué entre un tiers et la moitié des habitants du continent. L’espérance de vie n’était certes pas grande, puisqu’on meurt déjà si facilement d’une grippe ou même d’une indigestion, mais avec ces événements majeurs, la mort prend des proportions gigantesques dans le quotidien. On imagine aisément qu’elle devienne une obsession pour ceux qui survivent etce sont évidemment les classes les plus pauvres qui payent le plus sévèrement le prix. L’égalité devant la mort est alors la plus grande consolation. Et c’est bien là que réside une part du message des danses macabres. En effet, pape, chevalier, poète, mendiant, tous finissent par mourir.

La mort est partout dans les arts mais cette idée d’impartialité devant la fin, (et même, plus tard de cadavres entraînant les vivants du plus puissant au plus pauvre), apparaît d’abord en littérature.

« Mort, qui jamais ne sera lasse
de renverser les rangs, les places,
comme j’aimerai aux deux rois
Dire, si j’en avais l’audace,
Comment de ton couteau de chasse,
Tu rases ceux qui ont de quoi.
Les hauts placés par toi déchoient ;
Tu réduis en cendre les rois… »
« Mort, tu abats en un seul jour
Le roi à l’abri de sa tour
Et le pauvre dans son village… »

(Hélinand de Froimond, Vers de la Mort, strophes XX et XXI)

La première représentation picturale d’une danse macabre se trouvait dans les galeries du cimetière des Innocents à Paris (1424). Malheureusement, la fresque fut détruite en même temps que le cimetière en 1609 (il s’agissait en effet du plus grand cimetière dans Paris et le lieu posait de véritables problèmes d’hygiène). On trouve dans toutes l’Europe différentes représentations inspirées par cette première. Le motif eut un tel succès qu’il fut même intégré à des Livres d’Heures . Il fut cependant aussi une grande réussite éditoriale dans le format de gravures (éditeurs Guyot Marchant ou Holbein).

D’abord curieux, on apprécie d’autant plus le trésor de Kernescléden en sachant cela. C’est avec émotion que l’on observe les traits saillants de ce squelette qui emmène de son pas dansant cette évêque vers sa fin et nous peut-être avec. S’il s’agit d’une forme de memento mori, son air satirique fait cependant rire les vivants qui se tiennent devant et ce sont peut-être plusieurs générations qui se sont rassurés en les observant.

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