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La nature fondamentale de l’univers

Posté par Nathanael 16 juin 2020

Sense8, saison 1, episode 7. L’agent Gorski a repéré quelque chose d’étrange aux abords d’un entrepôt, et il s’avère qu’un élément d’un gang de sa ville, Chicago, était aux alentours. Il entreprend donc de retrouver l’enfant, pour obtenir des informations. Mais voilà – le chef du gang est le successeur de celui qu’il a mis derrière les barreaux… La négociation commence mal, jusqu’à ce passage-là :

  • Tu sais, la nature fondamentale de l’univers c’est pas la compétition, agent Gorski.
  • Ah non ? C’est quoi ?
  • Le commerce.

Le commerce. Pas la compétition, mais le commerce. Pas la coopération, mais le commerce. « La nature fondamentale de l’univers, c’est le commerce… » je me répète en boucle depuis que j’ai vu cet épisode. Ça me semble si évident, et pourtant si étranger… Comment ai-je pu oublier quelque chose d’aussi basique ?

La coopération est une sous-catégorie du commerce, elle est incluse dedans. Les transactions sont plus abstraites que lors d’un troc ou d’un échange de service immédiat. Dans une coopération, la construction d’une relation solide ou la réponse à des besoins plus profonds représente la nature de l’échange. Mais il s’agit de commerce quand même.

Voyons jusqu’où on peut aller, à envisager la nature du monde et des relations entre ses différents composants en tant que commerciale.

Du profit aux limites

Commerciale, certes, mais pas capitaliste. Il ne s’agit pas d’engranger le plus grand profit au détriment de ceux qui travaillent et produisent de la valeur. Mais il s’agit de produire du profit pour les deux partis qui se rencontrent. Les deux acteurs partagent un intérêt commun, même si l’objet convoité diffère. Les deux ont besoin l’un de l’autre : ils sont interdépendants.

Si les pertes sont plus importantes que les gains, il n’y a pas de commerce. C’est donc la limite : si les besoins sont plus souvent ignorés que remplis, il n’y a pas d’échange. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, et l’interaction est interrompue.

Au-delà du binaire : égoïste / altruiste

Concevoir le monde ainsi exemplifie la futilité d’une partition binaire entre égoïste et altruiste. Il n’y a ni l’un, ni l’autre. Nous répondons aux besoins des autres parce qu’eux-mêmes répondent aux nôtres. Aucun besoin de valoriser l’un plus que l’autre, donc, puisque nous faisons la même chose.

De plus, cette conception nous rappelle que nous ne sommes rien, seul.e.s. Nous sommes inutiles et impuissants sans une communauté, sans nos ressources, sans notre environnement social ou écologique. Bouleverser cet équilibre revient à se placer soi-même dans une position précaire, puisque le contrat ne tiendra plus longtemps, et qu’il nous faudra une alternative – qui peut tout simplement ne pas exister au moment où on en a le plus besoin.

Comment ça marche concrètement ?

Si c’est la nature fondamentale de l’univers, ça veut donc dire qu’on trouvera bien des exemples dans la nature. Donna Haraway décrit les échanges de gènes, d’infections, de transformations comportementales qui nous ont façonnés autant que nos compagnons canins. Elle parle de notre co-évolution, de notre co-dépendance avec notre environnement. Ce sont des thèmes récurrents dans ses travaux, que nous tendons si souvent à oublier…  

Comment avons-nous pu oublier ça ?

Et pour cause : nous sommes conditionnés, socialisés pour apprécier l’individualisme, la compétition. Nous sur-valorisons le génie de quelques personnes, qui envers et contre tout ont réussi – sans considérer que ces personnes ne seraient jamais là où elles sont sans le monstrueux contexte qui les entoure, les porte et leur permet de se développer. Nous ne sommes pas sans racines. Nous ne sommes pas indépendants ou au-dessus des autres espèces parce que nous pouvons construire des voitures et envoyer des gens dans l’espace. Nous ne sommes pas modernes et ne l’avons jamais été (spéciale dédicace à Bruno xoxo).

Nous nous croyons importants et nous prenons pour plus que nous sommes, mais n’oublions pas de remplir notre part du contrat avant qu’il ne soit trop tard…

Sources:
– Donna Haraway: Manifeste des espèces compagnes, CLIMATS.
– Donna Haraway: Les Promesses des Monstres, dans Elsa, D. & Eva, R. (eds.): Penser avec Donna Haraway, PUF.
– Bruno Latour: Nous n’avons jamais été modernes, La Découverte.

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