Culture

PNL : le hall, les siens, les cieux (2/3)

Posté par HeHo 30 juin 2019

JS vous parle de PNL en une trilogie d’articles flamboyants. Bon voyage.

PNL, trois lettres pour Peace N’ Lovés. Ademo et N.O.S, un duo de rappeurs, une fratrie. 91, un département, l’Essonne. Un quartier, la cité des Tarterêts. C’est de là que les deux frères font leur apparition dans le paysage musical en 2014. Ils se révèlent au grand public en 2015 et s’imposent parmi les leaders du rap français en 2016. En 2018, pendant que leurs fans attendent impatiemment un nouvel album du groupe, on apprend que le hip hop a détrôné le rock en devenant le genre musical le plus écouté au monde. En 2019, PNL sort Deux frères, leur quatrième opus tant attendu.

En trois jours l’album est disque d’or puis platine au terme de la première semaine avec plus de 60 000 copies physiques vendues, un phénomène rarissime à l’heure du streaming. Le vendredi 5 avril 2019, jour de la sortie de Deux frères, PNL était le groupe le plus écouté au monde sur Spotify, devant Queen ou les Beatles. Le groupe s’élève en top tendance dans plusieurs pays européens (Allemagne, Espagne, Suisse…) et des journaux du monde entier proposent des news, voire une chronique, de l’album. Le succès est total et dépasse les frontières françaises.

Au-delà des chiffres se pose une question : comment un groupe de musique indépendant a réussi à s’imposer sur la scène rap, et même en dehors, en aussi peu de temps et avec autant d’aplomb ? Monolithique bien que dual, PNL est une expérience devenue quasiment chamanique pour certain·es et pour tous une ligne de démarcation finale entre les anciens et les modernes. De l’encre a coulée sur le sujet, trop souvent d’un point de vue extra musical, et saisir l’opportunité de parler encore de PNL n’est pas évident. Pourtant il y a encore un axe à creuser, probablement du côté de l’écriture. Nous vous proposons ici une série d’articles sous forme de voyage dans les textes de PNL afin de trouver dans les rimes du duo ce qui en fait l’universalité, malgré une écriture hyper située.

Cette partie va être consacrée à l’écriture de PNL en se concentrant sur trois piliers de leurs textes. La répétition, la binarité des sentiments entre haine et amour ainsi que l’aspect ancré de leur plume.

Répéter

A travers l’étude de seulement deux sons, on a d’ores et déjà pu établir des correspondances sur certaines thématiques et explorer des redondances significatives. Le « j’veux du L, j’veux du V, j’veux du G »[1], mantra d’un capitalisme triomphant, est déjà présent deux fois sur le morceau Je vis, je visser. On le retrouve aussi au début du classique Le monde ou rien, titre prophétique s’il en est, qui aura fait percer le groupe sur la scène française au cours de l’été 2015.

La répétition chez PNL est essentielle. Elle vise à créer un univers hyper visuel, d’où, d’ailleurs, l’importance des clips et du fameux Planète Rap (pour la sortie de l’album Le Monde Chico), toujours très travaillés et finement mis en scène. Répéter a ainsi un objectif formel et un objectif de fond. Formellement, il s’agit d’appuyer l’esthétique, de faire en sorte que le public soit capable de pénétrer dans l’univers et de ne plus en sortir au cours de la navigation sur chaque album. On retrouve Mowgli, le cœur froid depuis l’œsophage, les cafards dans le bâtiment et les « mêmes plats pour les mêmes pâtes ». On serait plus illuminé qu’on pourrait même évoquer un système de rimes intertextuelles, mais le rap n’a pas à sombrer dans ces considérations d’universitaires.

Sur le fond, la répétition ne sert qu’à matraquer le cœur de la vie de banlieue selon PNL, c’est-à-dire l’ennui. L’emmerde passé 6h, à voir « le soleil se lever, se coucher » pour servir des armées de clients. L’ennui, aussi, lorsqu’on finit en prison. PNL a un rap excessivement émotionnel voire sensoriel. Plus que dire ou montrer, il s’agit pour eux de faire sentir. Et comment mieux ressentir cet épuisement, cette fatigue du corps et de l’âme qu’en entendant les mêmes mantras répétés à longueur de son ?

La prise de substances, alcool ou beuh, ponctue chaque couplet. Ce sont ces substances qui accompagnent l’évocation du temps passé dans le hall de leur immeuble : « j’attends mon heure, attends les renforts, égaré du premier kil’ à la dernière ‘teille » (Obligés de prendre), « j’accorde une danse à la rue bien accompagné/j’galette ma solitude après deux ‘teilles » (Je vis, je visser), « sous alcool, sous beuh, j’ai tout fait consciemment » (Jusqu’au dernier gramme). Il n’y a pas d’aspect récréatif à la prise de drogue. Seulement le symptôme de l’ennui d’un quotidien morose, répétitif, à attendre entre quatre murs.

On dit souvent que c’est le flow et les instrus qui confèrent au groupe son style « planant » mais les lyrics ont une importance centrale dans cette ambiance.

Parler de soi aux siens

Une autre caractéristique formelle de l’écriture de PNL est leur usage d’une langue sans compromission. Que ce soit par le biais de mots tirés de l’arabe, d’argot hyper localisé, d’une forme de grossièreté qui peut être rebutante pour un pan du public, Ademo et N.O.S gardent une écriture hyper marquée socialement malgré l’usage ponctuel de formes plus classique, « littéraires ». Ce grand écart entre une écriture jugée socialement acceptable et une qui reste stigmatisée, qui avait déjà pu impressionner sur les premiers projets de Booba, n’est pas vide de sens.

PNL a toujours affirmé s’adresser aux siens. Par les « siens » il faut entendre les habitant·es de banlieue (parisienne). Si leur musique a fini par pénétrer l’ensemble des publics, y compris des franges bourgeoises de la société, leur musique reste toute entière tendue vers le public originel du rap. Et leur manière d’écrire, en particulier au niveau du vocabulaire, reste une barrière suffisamment contraignante pour qu’une partie du public bourgeois ne parvienne pas à entrer dans leur univers. Combien de « tu comprends ce qu’ils disent ? » ont pu être entendu par un fan qui cherche à faire découvrir leur musique ? Et la dérive vers un jugement péjoratif, « ils racontent n’importe quoi », n’est jamais loin.

Mais la forme n’est pas la seule façon qu’ont les deux frères d’affirmer leur attache sociale. De nombreuses lyrics viennent réaffirmer leur position, la conscience qu’ils en ont et la manière dont ils la projettent et l’imposent à leur public. A ce titre, le dernier morceau de l’album Deux Frères est instructif. Le premier couplet se ferme sur Ademo qui dit « j’les laisse croire qu’ils connaissent tous ça/s’ils savaient c’que ça veut dire c’que ça comporte mais bon, comme on dit : qui vivra verra » avant que le refrain, sorte d’hymne à une misère passée et le souvenir amer qui en reste, débute (La misère est si belle). Il y a un travail de barrière sociale ici. Par cette phrase, Ademo permet simplement de signifier à qui s’adresse ce refrain, qui peut le ressentir, le chanter en comprenant. La musique permet de croire un vécu partagé, universel mais ce n’est qu’un mensonge.

Difficile de comprendre le rapport de PNL à son public et à la célébrité sans garder en tête cet enjeu de distinction sociale : « j’suis ravi qu’ma haine vous plaise » (Hasta la Vista), « j’leur chante ma haine, ils applaudissent » (Mowgli), « fuck vos interviews, j’aurai pu finir dans vos reportages de chiens » (Tu sais pas). La distinction entre le « je » et le « ils » est clairement sociale. Ademo et N.O.S ont bien conscience, au moins depuis le second album Le Monde Chico, que leur public dépasse les frontières de la banlieue et que leurs lyrics se retrouvent entre les mains et dans les bouches de jeunes bourgeois (bonjour). Alors le jeu est de rendre ces lyrics moins maniables, de les ancrer dans un lieu, un vécu afin que l’appropriation soit, a minima, plus difficile. Et cela passe le plus souvent par une forme d’ironie violente, parfois par des rejets directs.

Toujours est-il que ce travail d’ancrage des lyrics est un pilier de l’écriture de PNL, ne serait-ce que par son importance socio-politique à l’heure de l’extension (sociale) des publics et des artistes rap.

Les sentiments

Sans déconner j’ai l’cerveau vide, les yeux vides, le compte vide, le cœur vide

(Sur Paname)

Les sentiments sont centraux dans les textes de PNL. Que ce soit leur absence, comme dans l’extrait ci-dessus, ou leur trop plein comme dans A l’ammoniaque, les deux frères usent énormément de ce champ lexical.

Le refus de l’amour qui s’exprime à grand coup d’insultes, qu’on parle de la « ‘tasse (…) en train de traîner devant Häagen-Dazs » (Je vis, je visser), de ces  « bitchs » qui viendraient s’interposer entre les Deux Frères. A une misanthropie générale s’ajoute un rapport platement misogyne. L’amour alterne entre une perte de temps, un rêve et une peur, peur d’être aimé pour son argent, d’être trahi à la fin. « Si t’es pas d’mon sang, pas sûr que j’pourrai t’aimer jusqu’à la mort » (Déconnecté), on ne peut croire qu’en soi et sa famille.

Mais aucun sentiment n’est plus fort chez eux que la haine. Elle s’exprime parfois par des onomatopées, les « ungawawa », les grognements ou encore les accélérations de flow suivis d’une insulte rageuse : « toi ferme ta gueule » (Oh Lala), « t’es au sol, nique ta mère, nique ta civière » (Humain). Parfois la haine est exprimée directement, décrite comme un sentiment qui les tient en vie, « ma haine me redonne de l’oxygène » (Le monde ou rien), et qui fait intégralement partie d’eux, « j’suis de la jungle, appelle moi Mowgli, j’ai le seum, j’ai pas le semi » (Mowgli).  Haïr au point de ne plus savoir qui ou quoi. La haine vire même à la misanthropie : « que Dieu nous pardonne (…) pour notre manque de compréhension envers l’homme et sa putain de race » (A l’ammoniaque). Parfois, par touche, on en apprend un peu plus sur l’origine de cette haine. Peut-être vient-elle de leur bandit de père (Abonné) ou simplement de la rue et de ses souffrances (« Que dire à part que ça pue dans la street à part que j’ai toujours la haine » – Je t’haine), comme une nécessité. Un refus de la pitié d’autrui qui rappelle le Booba de l’album Mauvais Œil : « on dit que la vie des jeunes de la rue est triste, mais qui tu blâmes ?/j’ai pas besoin de tes larmes, où est le drame ? » (Pas l’temps pour les regrets). La haine est un sentiment qui vient tout recouvrir. Pourtant il y a bien quelque chose qui se cache derrière.

Je t’haine.

Ademo et N.O.S proposent une vision quasi taoïste des sentiments. La misanthropie des deux frères cache bien mal leur désir d’aimer et d’être aimés. La haine n’est qu’un moteur, les autres sentiments des boulets qu’il faut semer : « Les sentiments ça ralentit, le cœur fermé, là j’suis à fond »  (Différents).

Il y a bien un abandon de tout sentimentalisme, un abandon conscient : « sous alcool, sous beuh, j’ai tout fait consciemment » (Jusqu’au dernier gramme). Abandonner ses sentiments pour faire le mal. Pourtant, quand on y regarde de plus près on voit bien les sentiments traverser les textes, s’infiltrer par-ci par-là. Qu’est-ce que la tristesse exprimée à longueur de son sinon la conséquence de ce cœur qui « baisse les degrés » (A l’ammoniaque) ? L’amour est un péril, la haine doit gagner (Luz de Luna). Et ce n’est au fond pas une surprise que l’amour ait pris de plus en plus de place dans le champ lexical du groupe depuis l’album Dans la légende. N.O.S parle de la « caresse du temps qui passe pour [l]’adoucir » (Tempête). Ce temps c’est celui des regrets, de l’affliction du cœur. Ce temps c’est celui à se rappeler que le mal est nécessaire pour la famille. Il faut les nourrir, pas le temps de parler, pas le temps d’aimer non plus. Sacrifier l’amour de soi au nom de l’amour des siens, voilà la malédiction qui trône au cœur des Tarterêts.

Dès lors, réciter sa haine et sa froideur de glaçon (Le monde ou rien) devient une façon de s’en convaincre. L’amour est peut-être le vrai thème au cœur de PNL. Ressenti à la folie, passionnément, à l’ammoniaque. Car, à dire qu’ils n’en ont pas, Ademo et N.O.S parlent à longueur de temps de leurs sentiments. Et s’ils essaient de ne pas en avoir, c’est bien parce qu’ils ont déjà une famille à nourrir. Ils ne veulent pas s’éloigner des hommes, ils le doivent. Le manque de confiance, la peur sont des sentiments qui ne peuvent exister que là où il y a de l’amour. La haine ne peut pousser que sur l’amour, et vice-versa. C’est un chemin de pénitence, sans reniement mais plein de remords, que raconte PNL. Et sur ce chemin il faut bien savoir être accompagné. « L’amour des miens pour m’tenir c’est la ba-ba-base » (Rebenga).

Nous avons pu développer trois piliers de l’écriture de PNL (répétition, ancrage et sentiments), restant de fait plutôt concentrés sur la forme. La dernière partie de notre voyage dans l’univers des deux frères permettra de chercher plus profondément le sens de leur œuvre : l’élévation.

Illustration : Jacque © Tous droits réservés – 2019

Lire la troisième partie de l’article
Suivre JS sur les réseaux sociaux
Visiter le site de Jacque


[1] L V et G réfèrent ici à Louis Vuitton et Gucci.

Laisser un commentaire

À lire