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Comprendre l’image historique du trou noir M87*

Posté par Celia Capella 12 avril 2019

Vous l’avez sûrement vue envahir votre feed instagram ou facebook, cette image historique a été présentée par les scientifiques du Event Horizon Telescope (EHT) le 10 avril 2019. Cependant, ce donut asymétrique n’a peut-être pas provoqué en vous l’engouement que le monde semble partager (parfois sans vraiment savoir pourquoi d’ailleurs). Je vais essayer de vous expliquer en quelques points pourquoi la communauté scientifique se réjouit de cette image annulaire, tel Gollum apercevant l’éclat de son précieux dans le lit de la Grande Rivière des Terres Sauvages.

La première image (ever) d’un trou noir

Si tout le monde s’excite, c’est parce que cette image est la première à capturer un trou noir. Ou plutôt, « l’ombre » d’un trou noir, celui qui se trouve au centre de la galaxie M87, située à 55 millions d’années lumière de la Terre. Explications.

Par définition, un trou noir, c’est noir (merci Sherlock). Et la raison est relativement simple : un trou noir est un objet céleste qui concentre une masse énorme dans un espace minuscule, ce qui lui procure une force d’attraction gravitationnelle très (très, très) importante. C’est un peu un concentré de gravitation, que l’univers prend au petit déjeuner pour tenir toute la journée…. Vraiment pas sûre que les astrophysicien·ne·s valident cette métaphore. Ainsi, tout ce qui passe à proximité du trou noir est attiré vers lui, y compris les photons, ces petites particules sans masse qui constituent la lumière. Conséquence : aucune lumière ne provient de l’objet : il est noir.

Noir, c’est noir, mais il y a de l’espoir ! En effet, si le trou noir en lui même ne rayonne pas, son horizon, si. Il se trouve que je vous ai un peu menti : si tous les photons qui passent dans le voisinage du trou noir sont attirés par lui, ils ne sont pas tous emprisonnés, aspirés par ce glouton cosmique.

Prenons un photon sauvage, tranquillement en train de se propager dans le vide cosmique. Il rencontre le trou noir: selon son paramètre d’impact, c’est à dire la manière dont il arrive sur sur ce trou noir, trois destins probables l’attendent.

  • Si ce paramètre est supérieur au “rayon de capture” du trou noir, il aura la chance de poursuivre sa route, vers l’infini et au-delà.
  • Si ce paramètre est inférieur, il sera capturé et plongera dans le trou noir: il ne pourra plus jamais s’en échapper, rejoignant ainsi l’au-delà des photons (ou une bibliothèque, si on en croit Interstellar)
  • Si ce paramètre est égal, notre photon sera condamné à suivre une orbite circulaire instable autour de son agresseur, sorte de limbes entre la vie et la mort pour notre ami particule.

C’est ce dernier cas qui nous intéresse, car les photons errants dans ces limbes constituent ce que l’on appelle le rayon de photon du trou noir. On peut ainsi distinguer l’horizon des événements: la limite au delà de laquelle on aucune lumière ne s’échappe du trou noir.


Représentation schématique d’un trou noir. La lumière est “emprisonnée” au fond du trou noir, mais autour de celui-ci, les photons gravitent et rayonnent à très haute énergie.

Alors finalement, qu’est-ce qu’on voit sur cette photo? Le fameux horizon des événements? Ou bien, comme l’ont dit certains médias, les plasmas orbitant autour du trou noir (appelé disque d’accrétion) ?

Je dois avouer que là, ça se complique. Ce que l’on observe n’est pas le rayon de photon du trou noir, mais la superposition d’images de ce rayon par effet de lentille gravitationnelle. Je vous entends, c’est pas vraiment simple à comprendre. En même temps on parle de relativité là, de la théorie d’Einstein, et c’est pas pour rien que tout le monde le considère comme un génie. Comme une explication détaillée serait probablement trop longue (et incompréhensible venant de moi), je vous propose de regarder à la place cette vidéo qui explique très clairement le phénomène. Le professeur parle en anglais, mais des sous-titres français sont disponibles:

Un défi technique

Bonne nouvelle, on a de la lumière autour du trou noir, plus qu’à pointer les télescopes et prendre une photo! Vous vous en doutez, si c’était aussi simple, on aurait vu cette image peu après sa prédiction grâce aux théories de la relativité générale d’Einstein.

La principale difficulté, c’est que cet objet est très (très, très) petit. Un ordre de grandeur a été donné par le chercheur Frédéric Gueth, qui explique que cette observation revient à

“Lire depuis New York un journal ouvert à Paris”.

Frédéric Gueth

Pour observer des objets petits, on a besoin d’instruments avec une bonne résolution: c’est la plus petite distance que l’on pourra distinguer. Sauf que la résolution est directement liée à la taille du détecteur que l’on utilise: c’est la raison pour laquelle en astronomie, la taille compte vraiment.


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Ici, le diamètre de l’instrument nécessaire pour réaliser l’observation n’est pas moins que le diamètre de la Terre elle-même. Ce qui semble compromettre les plans de nos astronomes ambitieux. Mais c’est sans compter l’idée brillante de l’interférométrie stellaire !

Cette méthode consiste à placer des télescopes aux quatre coins du monde, de les pointer tous dans la même direction, et d’ensuite croiser toutes les données acquises. Grâce à la technique de l’interférométrie à très grande base (Very Long Baseline Interferometry), les données sont combinées pour obtenir après calculs une image ayant la résolution équivalente à celle d’un télescope dont le diamètre correspond à la plus grande distance entre deux de ces télescopes (la plus grande “baseline”). Plutôt badass les astronomes, non?

Dans le cas du trou noir, la lumière émise n’est pas visible, mais à une longueur d’onde de 1,3 mm, ce qui correspond au domaine des ondes radios (celles-là mêmes qui te permettent d’écouter Aya Nakamura dans ta voiture ! ). Les télescopes utilisés sont des radio-télescopes, sortes d’immenses antennes pointées vers le ciel. Vous en avez d’ailleurs sûrement déjà vu dans la scène finale de “GoldenEye”, 17e opus de la saga James Bond pendant laquelle le héros éponyme se livre à une bataille finale sur les flancs escarpés du radiotélescope d’Arecibo, à Porto Rico.

Le radiotélescope d’Arecibo

Un des réseaux de radio télescopes utilisés pour imager le trou noir est l’observatoire de ALMA, situé dans le désert d’Atacama au Chili. Je vous laisse apprécier le paysage futuriste qu’offre ce lieu :

L’Observatoire d’ALMA, opéré par l’European Southern Observatory (ESO)

Pour réaliser cette petite photo de donut photonique, une immense collaboration internationale a été réalisée, impliquant de nombreux pays et observatoires.

Les radiotélescopes utilisés pour le Event Horizon Telescope

Alors pourquoi cette image est historique?

Parce que c’est une confirmation d’une des théories les plus révolutionnaires du 20e siècle : la relativité générale. Mais aussi et surtout parce qu’elle prouve une nouvelle fois que la science se nourrit des coopérations, du partage des connaissances et des moyens. Tous les jours, les chercheurs du monde entier collaborent pour repousser les limites de nos connaissances sur le monde et l’Univers. Un moment comme celui-ci est une occasion de présenter au monde entier les résultats de ces investissements, avec une image concrète et (presque) compréhensible par tous.

Alors, elle est pas belle cette image ? 

Pour avoir un résumé, une vidéo un peu plus claire pour mieux comprendre, n’hésitez pas à cliquer sur cette vidéo de l’Event Horizon Telescope :

Il y a quelques années, la chercheur en informatique Katie Blouman expliquait dans un TEDx comment observer un trou noir. Elle est aujourd’ui devenue célèbre car c’est elle qui a élaboré un des algorithmes qui a permis de reconstituer l’image qui fait le tour de monde.

Sources:

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