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La réforme du baccalauréat : Travailler plus pour être évalué plus.

Posté par Beaumont 26 janvier 2019

Fin novembre j’avais écrit un article dénonçant la réforme du lycée, et j’annonçais un article le complétant sur la réforme du baccalauréat 2021. Chose promise chose due.

C’est le même décret n°2018-614 du 16 juillet 20181, portant aussi sur la réforme du lycée, qui a entériné la mesure. Officiellement, le discours ministériel alléguait une « simplification » et un « allègement » d’un baccalauréat jugé trop complexe et trop coûteux à organiser. Je vous laisse juger ce « dégraissage du mammouth », dont voici les quelques principes.

1 – La valorisation du contrôle continu.

C’était à la limite la seule idée digne d’être discutée. On pourrait se dire en effet que si les devoirs du contrôle continu au cours de l’année comptaient pour le bac, les élèves les feraient plus sérieusement ; ou encore que c’est trop de stress que de tout jouer sur une épreuve alors qu’on a bien travaillé régulièrement toute l’année. L’examen terminal favoriserait le bachotage de dernière minute. L’argument a pu servir aux technocrates de l’éducation nationale pour faire avaler la pilule. Et quelle pilule ! D’abord les moyennes trimestrielles de chaque matière compteront en tout pour 10 % du bac, mais de surcroît le ministère a imaginé une nouvelle manière de faire du contrôle continu pendant les deux années de Première et de Terminale : les épreuves communes de contrôle continu, qui compteront à hauteur de 30 % du bac.

Ces épreuves communes concernent de nombreuses matières et se répartiront sur 3 sessions :

1 – Dès janvier de la Première : Histoire-Géographie, LVA, LVB et EPS (on parle du bac 2021, mais c’est en réalité dès janvier 2020 que la réforme devra être mises en œuvre pour les élèves de Premières).

2 – Avril de la Première : H-G, LVA, LVB, EPS + Enseignement scientifique (dont on se demande pourquoi il n’est pas évalué aussi en janvier après tout) + La spécialité abandonnée en Terminale (petit rappel : les lycéens choisiront 3 spécialités en Première et n’en conserveront que 2 en Terminale).

3 – Janvier de la Terminale : H-G, LVA, LVB et EPS.

Chacune des 6 matières évaluées par les épreuves communes, qu’elle donne lieu à une (Spécialité abandonnée), deux (Enseignement scientifique) ou trois sessions d’examen (H-G, LVA, LVB, EPS), comptera au final pour 5 % du bac. Ce qui signifie au passage la fin des coefficients différents par matière, allant de pair avec la fin des filières.

Les sujets seront choisis par l’équipe des enseignants d’une matière dans une banque nationale publique d’épreuve. Ils seront corrigés au sein même de l’établissement, par échange entre collègues d’une même discipline.

2 – La réduction du nombre d’épreuves terminales

Les épreuves terminales sont quant à elle en effet allégées. On conserve les épreuves anticipées de Français au mois de juin de la Première, qui compteront pour 10 % du bac total (5 % pour l’écrit, 5 % pour l’oral). On ajoute deux épreuves de Spécialité au mois d’avril de la Terminale, qui sont les plus importantes en terme de poids dans le bac final, puisqu’elles compteront pour 16 % chacune. Et on maintient deux épreuves seulement au mois de juin de la Terminale : la philosophie (8 %), et une innovation majeure de la réforme : le « grand oral » (10%).

On obtient donc au final la répartition suivante, schématisée par le diagramme et le calendrier suivants2:

3 – Une charge de travail et de stress multipliée.

Vous l’avez donc sans doute compris, au final, le bac 2020-2021 ne sera pas du tout allégé ou simplifié. Il n’enlève rien, il ne fait que répartir autrement, et au final il ajoute au bac encore en vigueur en termes de nombre d’épreuves et de charge de travail et de stress pour les élèves, et aussi pour les enseignants.

En moyenne, les lycées actuels passent entre 12 et 16 épreuves, selon les séries. C’est déjà beaucoup, et plus que par le passé. À partir de 2020, ils en passeront 21 en voie générale et 26 en voie technologique. Surtout, on passe de 2 temps forts d’examen (juin de la Première puis juin de la Terminale) à 6 temps forts, de pression et de travail intensif. Dans le discours ministériel, le vice consiste à ne pas comptabiliser les épreuves communes comme des épreuves, et ce malgré la dénomination choisie, en disant qu’il s’agit d’un simple contrôle continu. Cependant, la nature de ces examens ne laisse aucun doute. Ils donneront lieu au déploiement de toute une machinerie administrative semblable à celle du bac actuel de juin : banalisation des cours habituels ; convocation des élèves ; anonymisation des copies ; commission académique d’harmonisation des notes, etc. Et par conséquent les élèves aussi les considéreront comme des épreuves de bac, avec la charge de travail et de stress impliquée. Les collègues des matières concernées par ces épreuves devront organiser beaucoup plus d’épreuves qu’auparavant, corriger beaucoup plus de copies. Car il ne faut pas oublier que ces épreuves jalonnent le calendrier trimestriel classique. Cela signifie que, pendant qu’il corrigera les copies des épreuves communes, le collègue d’Histoire-Géo devra aussi organiser et corriger des devoirs pour le bulletin trimestriel de toutes ses classes. Et l’élève de Première devra sans doute, le lendemain de l’épreuve commune d’anglais, réviser pour son devoir de Français comptant pour son bulletin du deuxième trimestre. Personne ne se trouvera donc « allégé » par ce nouveau bac, ni les élèves ni les enseignants.

Cette évolution paraît d’autant plus étonnante que les recettes pédagogiques assénées dans les ESPE et labellisées par le ministère, encouragent les plus jeunes collègues précisément à ne plus faire autant d’évaluation sommative (qui sanctionne une réussite ou un échec), mais davantage d’évaluation formative (qui fait progresser l’élève sans être comptabilisée dans une moyenne). Mais le ministre s’est-il seulement posé la question : Qui aura encore le temps de faire de l’évaluation formative, alors que pendant deux ans les élèves seront assommés par une interminable salve d’évaluations sommatives ?

4 – La fin du bac national

Autre aspect très discutable de la réforme du bac, c’est le fait que la moitié de l’examen devienne locale. En effet, les 10 % du contrôle continu + les 30 % des épreuves communes + les 10 % du grand oral, soit 50 % du bac total, seront évalués au sein de l’établissement. Quand on est coutumier de la prolixité des enseignants lorsqu’il s’agit d’échanger diverses informations au sujet des élèves en salle des profs, il ne fait aucun doute que le bac local met un terme à l’anonymat réel et donc à l’égalité de traitement des candidats. Et quand on est également coutumier de la tendance des élèves à négocier leurs notes, on est un peu inquiets lorsque l’on découvre que les notes des épreuves continues seront révélées immédiatement aux élèves, qui n’auront pas grand mal à retrouver qui est l’enseignant qui les a corrigés.

De surcroît, au regard des grandes disparités de résultat que l’on constate actuellement entre les établissements, cela veut dire que le diplôme n’aura pas la même valeur aux yeux des recruteurs du supérieur, selon que le lauréat viendra du lycée huppé de centre-ville ou bien d’un établissement rural ou péri-urbain à la réputation douteuse. Ce biais affecte certes déjà le processus d’orientation sur dossier. Un pas de plus est néanmoins accompli avec la décentralisation du bac lui-même.

5 – La mascarade du grand oral

LA grande innovation du nouveau bac, qui mériterait à elle seule un article entier, c’est l’introduction d’un « grand oral » au mois de juin.

Et là, c’est le grand flou. Le décret de juillet 2016 ne dit absolument rien sur ce grand oral. Une brochure officielle3 précise qu’il durera 20 minutes, dont une présentation par l’élève d’un projet préparé dès la première en lien avec une ou deux de ses spécialités, suivie d’un entretien avec un jury de trois enseignants. 10 % du bac se joueront donc en 20 minutes ! Et on découvre ainsi qu’en plus de toutes les épreuves et du contrôle continu des différentes matières, les élèves devront pendant les 2 années travailler à leur projet pour le grand oral. Quelles consignes pour la conception de ce projet ? Quels contenus ? Quels supports ? On ne sait pas…

La brochure justifie la nécessité de ce nouveau type d’épreuve en disant que la maîtrise du français à l’oral est un marqueur social, et qu’il convient donc de faire travailler tous les élèves à égalité sur cet aspect important de leur réussite future. Soit. Mais il faudrait alors correctement préparer les élèves à cet exercice. Or, rien n’est prévu, aucun enseignement spécifique, aucune heure prise sur la marge, pour mener à bien ce travail. Quand trouvera-t-on le temps de préparer nos élèves au grand oral ? Devront-ils venir nous harceler pour qu’on leur donne quelques conseils ? Devront-nous faire quelques heures supplémentaires de charité pour les préparer ? N’est-il pas évident que ce seront précisément les élèves au « marqueur social » favorable, ceux qui pourront s’entraîner avec papa et maman, qui réussiront le mieux cette épreuve d’éloquence ? Car il s’agit bien d’une épreuve d’éloquence et de bagou, presque voulue ainsi, tellement les contenus attendus sont indéterminés. On est alors en droit de penser que cette épreuve produira l’effet inverse de celui qu’elle prétend rechercher : elle favorisera ceux qui, en raison de leur milieu culturel d’origine, savent comment parler correctement devant des adultes.

Vous l’aurez donc compris, de même que la réforme du lycée me semblait désastreuse à maints égards, de même la réforme prévue pour le bac 2020-2021 me semble aller dans la mauvaise direction : celle d’une dégradation des conditions d’enseignement et d’apprentissage, celle d’une pression constante mise sur les élèves, qui se sentiront en permanence sous l’épée de Damoclès de l’examen, celle d’une inégalité accrue entre élèves et entre établissements. Mais, du reste, que pouvions-nous attendre d’autre d’un ministère dont toute l’ambition éducative se résume à la réduction budgétaire, la gestion managériale de l’école et l’endoctrinement des élèves dans l’idéologie du travail et de l’insertion professionnelle.

1https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2018/7/16/MENE1813135D/jo/texte

2Source : https://www.lycee-montesquieu.fr/enseignements/56-baccalaureat/561-reforme-du-baccalaureat-session-2021

3http://cache.media.education.gouv.fr/file/BAC_2021/00/0/DP_BAC_BDEF_web_898000.pdf

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