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La danse sportive et le BDSM

Posté par Nathanael 14 mars 2020

Oui, oui je vous vois venir. « N’importe quoi, c’est quoi cette association foireuse ?! » Ce à quoi je répondrais simplement : « just hear me out ! » Laissez-moi donc vous convaincre… Quelques précisions tout d’abord : quand je parle de danse sportive, c’est des danses de salons dont il est question (du genre Danse avec les Stars, voyez ?), mais dansées en compétitions. Plus particulièrement, des danses latines, dans ce cas-là.

De manière générale, dans les danses latines, l’élément de séduction, de sexiness, est omniprésent. Les partenaires sont très proches, se touchent et se regardent constamment, sont relativement peu vêtus. Les femmes portent des robes qui, au vu du peu de tissu nécessaire pour les coudre, n’en portent que le nom (quand elles ne portent pas juste une nuisette ou un body). Pour leur part, les hommes ont un clivage qui leur descend jusqu’au nombril. Les femmes montrent leurs jambes, leurs sous-vêtements, tandis que les hommes montrent leurs pectoraux et abdos préformés en salles de fitness. La performance d’une sexualité hétérosexiste constitue le vocabulaire principal de la danse sportive.

Pour vous donner une idée, ce genre de costumes est assez courant!

Mais au-delà de ça, la danse sportive est le lieu d’un conflit assez étrange, avec des conséquences étonnantes. Faire partie du monde de la danse sportive pour un homme est un défi perturbant pour sa propre masculinité, puisque la technique nécessaire pour les compétitions est plutôt féminine. L’exemple le plus frappant : on nous demande de nous déhancher. Du coup, sous la menace d’être traité de mauviette ou de tapette, on se montre le plus fort possible, le plus dominant, le plus rapide, le plus agressif. A l’inverse, on attend des partenaires féminines qu’elles se comportent comme de petits objets fragiles et extrêmement érotiques, histoire qu’on soit bien sûr de pas faire d’erreur : ce sont bien elles, les femmes. Pas nous, mais elles.

En même temps, le public et les juges veulent assister à une histoire d’amour entre les deux protagonistes. Et l’intersection des deux – le besoin compulsif pour les hommes de s’affirmer masculins d’une part, et l’injonction à créer une histoire d’amour d’autre part – créé une dynamique étrange, dans laquelle le couple se transforme en une dynamique de domination / soumission. Et TAC ! On est en plein dedans. Told you !

On parle donc bien sûr de domaines assez restreints, puisque le BDSM couvre une gamme de pratiques extrêmement larges. Mais certaines de ces pratiques sont communes avec la danse sportive. Florilège !

Les costumes

La danse sportive connaît sa propre mode, qui évolue au fur et à mesure des saisons. On y retrouve beaucoup de cuir et de chaînes pour les hommes, qui pendent de leur chemise, du cuir également pour les femmes, bien que certaines robes évoquent carrément des harnais. Les robes sont de manière générale extrêmement contraignantes à enfiler (à l’instar d’un corset), même si elles sont destinées à permettre à la danseuse le plus de liberté de mouvement possible.

Les femmes sont également obligées de porter des talons. Celleux qui observent bien auront déjà remarqué que les hommes aussi portent des chaussures à talon, mais bien plus bas que ceux de leur partenaire, et également bien plus large. On ne s’en rend pas compte tant qu’on n’a pas essayé, mais la technique en pâtit énormément : les danseuses, et la danse sportive de manière générale, d’ailleurs, pourraient utiliser leurs capacités bien mieux qu’elles le font maintenant si elles pouvaient porter le même type de chaussures que leurs partenaires masculins. Et ça, ça rappelle le fétichisme des talons aiguilles…

La violence

Bien sûr tout ceci est relativement abstrait par rapport au BDSM. Les danseurs utilisent par endroits un vocabulaire gestuel violent, poussant soudainement leur partenaire à droite ou à gauche, les fessant (non non, ce n’est pas une blague…), ou autres variations qu’on croirait issues d’une séance d’impact play.

Vers 1’34 il repousse violemment sa partenaire.
Le début fait bien impact play, non?

Tant qu’à parler de violence, autant parler de douleur, plus souvent ressentie par les danseuses. Leurs chaussures fatiguent leurs pieds beaucoup plus vite, et la chorégraphie attend d’elles qu’elles s’étirent dans tous les sens.

Et pour la fessée, c’est vers 0:20.

Les genres binaires et polaires

Dans la danse sportive, on assiste à une performance d’un homme et d’une femme, dont les genres les opposent diamétralement, comme des extrêmes, des pôles. Cette relation est basée sur une répartition du pouvoir telle qu’on la connaît dans notre société patriarchale. Ça se voit dans les figures utilisées, mettant en valeur la soumission des femmes par de postures languissantes et intriquées, et la domination des hommes par des postures larges et occupant l’espace.

Un autre exemple se retrouve dans le concept du lead and follow, à la base de la connexion qui unit le couple dans sa performance. Bien que ce concept se soit diversifié pour répondre à l’évolution technique de la danse sportive, il est toujours omniprésent, et toujours aussi genré. Les hommes guident, les femmes suivent. Voilà qui évoque plutôt bien les dynamiques dominant / soumise.

Une myriade de postures contrastées – à 0:06, 0:58, 1:14, 1:35…

L’appropriation – ou la culture du viol

Approcher de derrière la partenaire féminine pour la caresser, ou bien lui donner un coup de b*te pour la faire avancer (ouais, nan, je rigole pas non plus) sont autant de signes qui montrent que les partenaires masculins agissent comme s’ils possédaient le corps féminin, comme s’ils se sentaient autorisé naturellement à toucher leurs corps comme ils l’entendent. De cette manière, ils touchent plus souvent leur partenaire que l’inverse, ils les regardent plus souvent que l’inverse… Cette dynamique positionne la partenaire en tant qu’objet de désir et d’attention, tandis que le partenaire est le sujet de l’action.

Le fameux coup de b*te, vers 0:50.

Les concepts

Je vais citer ici le consentement, puisque c’est important pour les enseignants que chaque personne d’un couple soit à l’aise avec l’ensemble de la chorégraphie (même si concrètement, le concept de consentement est bien mal appliqué dans la danse sportive).

Un autre concept cher au BDSM : la confiance. Le cas le plus extrême à ma connaissance est une « signature move », une figure spécifique aux multiples champion.ne mondiaux Anna Matus et Gabriele Goffredo, où elle se laisse tomber directement en arrière, tandis qu’il est chargé de la rattraper. Autant vous dire que si la confiance ne passe pas bien, ce n’est même pas la peine d’essayer !

Anna se laisse tomber, faisant confiance à son partenaire pour la rattraper, à 0:50.

L’exhibitionnisme et la sexualisation

L’évocation sexuelle doit toucher la limite morale sans la dépasser, elle doit la rendre perceptible, par l’abstraction d’un acte privé dans un contexte public. En donnant aux spectateurs la possibilité de regarder, de voir, en se montrant de manière authentique, le couple construit son public en voyeurs – en voyeurs déçus, afin de ne pas « sombrer » dans l’immoralité de la pornographie ou du spectacle d’un club de strip-tease. Les femmes doivent être élégantes pour évoquer le « grand art » et ne pas être associées à la pornographie ou aux spectacles des boîtes de nuit ; leurs vêtements coûteux contribuent, et permettent encore, une forme de voyeurisme, lorsque la chorégraphie ne montre pas les parties intimes des femmes de façon directe (comme lorsque les femmes étendent leurs jambes vers le plafond). L’aspect de la nudité contribue à l’altérité des femmes en les réduisant à leur rôle d’objets sexuels, contrairement aux hommes entièrement habillés, qui les dirigent.

L’éducation au désir des hommes

Dernier aspect pour aujourd’hui : la façon dont les danseurs et entraîneurs consacrent énormément de leur temps à expliquer aux danseuses comment elles peuvent les allumer le plus efficacement possible. C’est un entraînement à sens unique, puisque je n’ai jamais entendu quoi que ce soit qui s’y apparente dans l’autre sens. Les danseuses apprennent comment se toucher, comment jouer avec leur jupe pour révéler leurs sous-vêtements, comment se montrer confiantes en elles, pour exciter le plus possible les juges, le public et leur partenaire masculin. Et tout ça s’apparente énormément au « bimbo training. » (Ben oui, j’ai jamais dit que tout ce qui se fait en BDSM est magnifique et dignifiant, hein.)

J’espère vous avoir convaincu, ou au moins interloqué, provoqué ou attiré votre attention. La prochaine fois que vous regarderez Danse avec les Stars, j’espère que ces images qu’on accepte sans rien dire vous interpelleront par leur portée et leur signifiance.

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