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« Bienvenue en France » ou comment les frais de scolarité des étudiant.e.s étranger.e.s sont multipliés par 14

Posté par Ju le Zébu 30 novembre 2018

Le 19 novembre dernier, Edouard Philippe présente «la stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux ». Ce discours, je n’en avais pas entendu parler jusqu’à ce qu’une de mes camarades de Master me confie il y a une semaine qu’elle ne sait pas comment elle va faire pour payer ses frais de scolarité l’an prochain. Avec le loyer, le quotidien, ça ne va pas le faire. En effet, une des mesures de cette réforme est d’augmenter les frais d’inscription à l’université pour les étudiant.e.s étranger.e.s. Pas d’une centaine d’euros mais de les multiplier par environ 14.
Dans mon parcours de Master, nous sommes une quinzaine dont au moins un tiers sont des étudiant.e.s « internationaux », internationales. Nous ne représentons qu’un petit parcours en province mais cette proportion se retrouve dans de nombreuses formations.
Cette décision politique est passée comme une lettre à la poste, sans faire de bruit. Notre équipe enseignante et pédagogique n’en a appris l’existence que le jour de sa publication dans la presse. Deux minutes lui étaient consacrées sur le Journal de 20h avant de bâcher encore et encore les gilets jaunes.

Aujourd’hui, les étudiant.e.s étranger.e.s, hors Union Européenne, qui s’inscrivent à l’université française règlent environ 170€ pour une inscription en licence, 240€ en master et 380€ en doctorat. Ils ne bénéficient souvent pas des bourses Crous sur critères sociaux. Comme ma camarade de master, non pas parce qu’elle est excessivement riche (pour pouvoir venir étudier à Poitiers) mais parce qu’elle ne peut pas y prétendre en tant qu’étrangère.
Alors évidemment, apprendre qu’à la rentrée prochaine il lui faudra peut-être débourser 3770€ à de quoi la faire angoisser.

Dans la continuité de la réforme de l’enseignement supérieur, notre Premier Ministre annonce cette nouvelle mesure dans le cadre d’une amélioration de l’accueil des étudiant.e.s étranger.e.s en France. En effet, nous devrions, dans un but de compétitivité mondiale, devenir plus attractifs. Attirer toujours plus d’étudiants du monde entier, sachant que leur nombre devrait très fortement augmenter dans les années à venir, notamment en provenance des pays en voie de développement. C’est une course à qui saura en attirer le plus.
Dans cette perspective sera lancé (quand exactement ?) le programme « Bienvenue en France » ou « Choose France » dans sa version anglophone. On note qu’il y a déjà une différence entre les deux, accueil ou choix, les publics cibles ne sont donc pas les même. En effet, le discours d’Édouard Philippe met fortement l’accent sur la Francophonie. Tout son préambule y est consacré et il y fait référence à trois auteurs africains de langue française. Car il s’agit surtout de parler des étudiant.e.s originaires d’Afrique. C’est là que la France a ses cartes à jouer ! Et tout cela est amorcé par la politique menée par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir. Des pays en développement, avec une population jeune et une classe moyenne croissante susceptible d’envoyer ses enfants étudier à l’étranger. Comme nous avons « le français en partage », cela va de soi.

Une facilitation d’obtention des Visas aux étudiant.e.s étranger.e.s et la création d’un label « Bienvenue en France » auquel pourront prétendre les universités sont prévues. Sur ce dernier point, les Université pourront recevoir des subventions afin d’améliorer l’accompagnement des étudiant.e.s étranger.e.s. Ce qui consiste en la création d’un guichet d’accueil, l’attribution d’un référent, l’accès au logement, le développement de cours de FLE* mais aussi de cours en Anglais. Des mesures plutôt positives a priori. Quand on sait dans quel labyrinthe administratif il faut se plonger pour obtenir un Visa !

Venons-en aux frais de scolarité. Le Premier Ministre parle d’ « une forme d’équité financière ». Équité entre les étudiant.e.s français.e.s dont les parents payent leurs impôts en France et les étudiant.e.s étranger.e.s, riches, qui ne payent que quelques centaines d’euros pour bénéficier du même système universitaire, de la même excellence à la française. Mais là, Mr Philippe met tous les étudiant.e.s étranger.e.s dans le même sac. Ce ne sont pas tous les héritiers d’un magnat du pétrole ou d’un homme politique. Pour les quelques qui ne seraient pas aussi fortunés, la France propose généreusement 7000 bourses attribuées sur le mérite, auxquelles devraient en être ajoutées 8000. Soit 15 000 bourses sur le mérite, plus quelques autres attribuées par les universités elle-même, pour 324 000 étudiants étrangers en 2016, sachant que ce nombre devrait croître très rapidement dans les années à venir. Mais après tout, ce n’est pas grave si le nombre de bourses stagne, puisque l’objectif sous-jacent de cette compétitivité est d’attirer les plus fortunés ! Et les plus brillants. Parce que bourse au mérite est synonyme de réussite universitaire et par la suite professionnelle. Celles et ceux qui sont donc issu.e.s de classes défavorisées ou moyenne et qui ne peuvent prétendre qu’à une intelligence normale seront donc recalé.e.s. Il faut être riche ou extrêmement brillant pour venir tenter sa chance en France.
Et quelques milliers d’euros, cela fait sérieux et c’est déjà un argument d’attractivité en soi.
Voilà qui va complètement à l’encontre des valeurs de l’Université et de l’enseignement, qui n’ont pas vocation à créer un bénéfice financier mais humain et de connaissances. Alors certes, les frais de scolarité envisagés ne représentent qu’un tiers de ce que coûte annuellement un étudiant. C’est déjà une forme de solidarité peut-on dire. Mais il n’empêche que cela va créer une nouvelle forme de sélection. Que la France peut bien se prévaloir de son exception, elle n’en copie pas moins le modèle Nord-Américain (et Mr Philippe a bon dos de pointer du doigt d’autres pays européens [Grande-Bretagne, Pays-Bas] pour se dédouaner de cette décision).

« Mesdames et Messieurs, chers amis, nous savons tous que les étudiants étrangers nous enrichissent de leur présence, de leur regard et de leur différence. », déclare le Premier Ministre dans son discours. Mais surtout s’ils ou elles sont riches et intelligent.e.s et qu’ils ont donc quelque chose à apporter à notre grand pays. Vive la France, vive la République !

* FLE : Français Langue Étrangère

Pour aller plus loin :

Discours du 19 novembre 2018 d’Edouard Philippe

Article sur le Blog de Médiapart de Paul Cassia, professeur et écrivain

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