Culture

Une histoire de frontières, une histoire humaine

Posté par Ju le Zébu 23 avril 2017

Je viens de terminer la lecture de Zinc (Zink, en néerlandais, Belgique) de David Van Reybrouk. Des sons en « ink » et en « ouk », voilà qui peut vous sembler un brin exotique ! L’auteur traite dans cet essai de l’histoire étonnante d’un petit bout de territoire perché entre la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne : la Calamine, Kalamijn. On y trouve le village de Moresnet-Neutre. Le connaissez-vous ? Je n’y ai jamais mis les pieds mais la région alentour m’est familière, c’est celle où a grandi ma mère. C’est elle d’ailleurs qui m’a glissé le livre en me disant : « Nous allions nous y promener et ramasser de petites fleurs blanches ». Les petites fleurs en question ne poussent que dans les sols riches en zinc. L’histoire de la Calamine débute, comme bon nombre de conflits frontaliers, avec l’exploitation de ressources. Le tracé des frontières n’a-t-il pas pour principale mission de déterminer qui peut exploiter un sol ? Les frontières sont abstraites. Elles sont invisibles. A moins qu’elles ne soient naturelles. On manque rarement une montagne ou un océan (mais rien ne nous empêche de les traverser). Mais entre les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique, dans ces plats pays où les maisons se ressemblent, où les langues sont sœurs, où les fêtes et coutumes sont partagées, où sont les frontières ? Il y a des gens. Cela vaut pour toutes les frontières du monde. Il y a des gens. Poser des lignes sur l’humain, mouvant, vivant, est source de drames.

L’enquête menée par Van Reybrouk se concentre sur un homme, un habitant de Moresnet : Emil Rixen. Les faits revêtent ainsi un aspect humain qui donne du sens à la portée des événements et des dates. Cet homme, né au début du XXeme siècle, aura connu tous les grands changements de son village, de son époque. Né « Neutre », il aura été tour à tour Allemand et Belge. Il aura servi deux armées, fui les rangs du Reich et tout de même été fait prisonnier durant plusieurs mois par les Alliés. Ses enfants déclarent : « Ce sont les frontières qui l’ont traversé ».

Au XIXeme siècle, le zinc est en vogue. Les Pays-Bas et la Prusse, suite à la chute de Napoléon (qui avait tracé des petites lignes partout et frappé à coup de Code) effectuent un redécoupage. Personne ne veut céder à l’autre la Calamine et son village de Moresnet. Puisqu’il en est ainsi, le traité d’Aix-la-Chapelle octroie provisoirement un statut juridique unique en Europe au village : la neutralité. Moresnet se voit greffé de « Neutre » pour une centaine d’années. Quelles sont donc les conséquences d’un tel statut ? Le village ne répond à aucune autorité étatique. Pas de monnaie locale, pas de taxe. Pas de roi ou de parlement. L’organisation politique se fonde sur celle de la mine, principale activité économique. Le contre-maître est également une sorte de garde-chasse. Le code napoléonien, qui a été effacé ou adapté partout où le général français été passé, devient le seul texte de loi appliqué.

Moresnet_Karte

Mais qui habite donc ce village grandissant ? De petits êtres bleus au chapeau blanc ! Mais non ! Les habitants de Moresnet forment un « ensemble cosmopolite local ». Emil Rixen est né d’une mère allemande dans une famille du village. Il épousera une Limbourgeoise (région du Sud des Pays-Bas). Peut-être a-t-il aussi appris le français. Peut-être même l’espéranto qui est choisi pendant un temps comme langue officielle. Ce mélange et cette tolérance sont l’essence de ces régions de rencontres culturelles et linguistiques. Loin d’être des « zones tampons » faisant office de gris dans une palette entre le blanc et le noir, entre deux nations, elles recouvrent une identité propre et unique.

La Calamine forme aujourd’hui le territoire de la minorité des Belges germanophones. Moresnet, sur les photos que j’ai pu voir, ressemble à n’importe quel village du coin. Ordinairement paisible. A travers cet essai, Van Reybrouk parvient à nous expliquer comment le dessin des frontières actuelles s’est fait et quel en a été le prix humain. Je retiendrais de cette lecture comment la mixité des langues, des personnes a été brisée par le jeu des nations, des nationalismes. Lorsque je me rends aux Pays-Bas, dans ma famille, cela nous prend moins de temps pour nous rendre à Aix-la-Chappelle ou à Liège que de faire un tour à Amsterdam. Le dialecte que nous parlons est plus proche de l’allemand que du néerlandais. Où sont les frontières ? Dans nos têtes.

Référence :

Zinc, David Van Reybrouk, Actes Sud,, Novembre 2016 (8,50€, env. 75 pages)

 

Laisser un commentaire

À lire