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Écoles alternatives : mon expérience Steiner

Posté par Ju le Zébu 17 mars 2018

Les pédagogies alternatives ont le vent en poupe. De la crèche au baccalauréat, on cherche à innover l’éducation classique qui montre ses failles. On lui reproche entre-autre de ne pas assez prendre en compte l’individu qu’est l’élève, de faire du global lorsqu’il faudrait du singulier.

Le phénomène Montessori est le plus notable. Il s’agit généralement d’écoles hors-contrat et donc payantes. Sortir du système scolaire classique est un certain luxe. Cependant, on observe également que de plus en plus d’enseignants suivent de leur propre initiative des formations Montessori qu’ils mettront ensuite en place par touche.

S’agit-il là d’une véritable évolution du système pédagogique ou d’une mode passagère ? Dans tous les cas, les écoles alternatives proposent depuis longtemps déjà d’autres modèles pédagogiques, bien que sévèrement critiqués il y a une quinzaine d’années encore.

De mes 3 ans à mes 6 ans, j’ai été scolarisée dans une école d’inspiration Steiner-Waldorf. Jusqu’à présent, cela ne m’avait pas trop posé question. J’en garde de très bons souvenirs et j’ignorais qui était ce Mr Steiner.

Je suis toujours un peu embêtée lorsqu’il faut expliquer ce dont il s’agit. Mais pour vous, chers lecteurs Berthine, curieux de savoir ce que cela change dans une vie, je vais essayer de faire le point entre mes souvenirs d’enfance, ce que j’ai tiré de cet enseignement et ce que l’on pourrait lui reprocher.

En 1998, mes parents m’inscrivent dans une école maternelle alternative, Le Petit Porteau. Pourquoi ? D’abord, ma mère, néerlandaise, est horrifiée par le système scolaire français qui met à l’école les enfants dès 2 ou 3 ans (aux Pays-Bas la scolarisation commence à partir de 4ans) pour leur apprendre la discipline, compter et bientôt écrire. Les groupes sont souvent trop grands et mes parents jugent qu’un enfant n’a pas besoin de savoir compter jusqu’à cent mais plutôt de trouver à son rythme sa place dans la société, comprendre qui il est et qui sont les autres.

L’aspect ésotérique de Steiner a de quoi effrayer mais dans la culture nordique, les écoles alternatives sont bien intégrées dans le paysage scolaire. Elles favorisent l’intégration de l’enfant dans le groupe, développent son potentiel artistique et de nombreux autres savoirs-faire, principalement basé sur l’intelligence manuelle. Le Petit Porteau accueillait chaque année scolaire des stagiaires, allemand.e.s généralement. Et ma meilleure amie était danoise (ses parents étaient expatriés pour une année).

Nous avions à l’époque la chance d’habiter à proximité d’une école Steiner dont le cadre a immédiatement séduit mes parents : petite structure aux dimensions adaptées aux enfants, dans une belle maison rénovée, entourée d’un superbe jardin, d’une forêt alentour… Et l’autre grand point positif était l’institutrice, Christine. Elle n’avait rien de New Age ou de sectaire. Elle faisait preuve, comme elle le disait elle-même, de bon sens. De sagesse.

Comme l’école était complètement indépendante, en plus d’être payante, les parents s’investissaient beaucoup dans le projet : ils faisaient du ménage, préparaient à tour de rôle les repas du midi, menaient les travaux nécessaires…

Pour ma part, je me souviens du cadre (tout en bois et pierre), de l’émerveillement des lieux et de la gentillesse de Christine. J’étais timide mais je ne me souviens jamais d’avoir été seule contre mon gré.

La particularité du système Steiner réside, entre-autre, dans l’importance des rythmes : rythme de l’enfant, de la journée, de la semaine, des saisons… De nombreux petits rituels viennent marquer le temps qui passe et ses étapes. On ne pousse pas l’enfant à atteindre des objectifs selon son âge ou d’après les autres. Je me souviens avoir eu des problèmes avec la sieste par exemple (j’étais un peu insomniaque). Christine ne m’obligeait pas à rester tourner dans mon lit, elle me jouait parfois un petit air de harpe en plus, en me prenant dans ses bras (et oui, petits veinards que nous étions, on nous berçait sur des airs de harpes pour la sieste). Pareil avec l’écriture et les nombres : seulement, à la toute fin quand nous étions prêts. Ce « retard » par rapport aux élèves ayant fréquenté l’éducation nationale ne m’a pas pénalisé lorsque j’ai intégré une école primaire classique et j’ai toujours été plutôt bonne élève par la suite.

La journée, était elle aussi marquée de petits rituels, comme une chanson pour commencer la journée et se dire bonjour, une activité manuelle, le goûter (des fruits secs généralement, servis dans une coupelle en coquillage), des jeux à l’extérieur. Je me souviens avoir été beaucoup dehors. C’est certainement la raison pour laquelle aujourd’hui encore je trouve cela si important, et que n’importe quelle journée un peu dégagée sans mettre le nez dehors me semble un peu perdue.

Les jours de la semaine avaient chacun leurs particularités (et chacun leur couleur si je me souviens bien) : un jour pour faire le pain, un autre pour la peinture, un pour le dessin… Le travail des mains était central. Par ce biais nous apprenions à maîtriser nos mains mais aussi la patience, le respect, etc. Aujourd’hui encore je présente, comme ma sœur ou mon frère qui ont eux aussi fréquenté l’école, une certaine habileté manuelle qui n’est pas un simple petit plus mais une manière pour concevoir le monde et maîtriser son environnement proche.

L’année était centrée sur le passage des saisons. Nous avions une table sur laquelle était dressé un paysage symbolisant la saison en cours. Le passage d’une saison à l’autre était un moment important. Il y avait un changement sur la table, comme un petit spectacle mené par Christine. Le bruit de la pluie joué avec un bambou me reviens. Le brillant de l’étoffe qu’on soulève doucement. Ces rites, qui me laissent de si tendres souvenirs, ont aussi fait de mon enfance un passage empli de poésie.

A la fin de l’hiver, nous allions réveiller le printemps à l’aide de clochette lors d’une promenade. En été, nous faisions la sieste à l’ombre d’arbres sur des nattes. Durant la fête de la Saint Jean, les parents préparaient un grand feu. Toute la symbolique qui entoure ces événements permet d’appréhender les changements comme une bonne chose. Une chose normale.

Tout cela, de l’extérieur, doit vous paraître un peu païen. C’est peut-être le cas ! Mais ce qui est sûr, c’est que cela permettait de faire de ces petits choses des moments importants. Donner un rythme, des rythmes, permet de rassurer, de prendre son temps et surtout d’évoluer. Et nous avions la chance d’évoluer en plus de cela dans un bel univers.

Il n’y avait pas de sections par âge. Nous étions un groupe d’une vingtaine d’enfants entre 3 et 6 ans. S’il n’y avait pas de sections pour nous séparer, il y avait cependant des différences dans certaines activités. Par exemple, lorsque l’on approchait du moment de quitter la petite école, « les grands » commençaient à fabriquer un nichoir à oiseaux en autonomie (sous la surveillance de Christine bien sûr). Nous manipulions clous et marteaux seuls. Un sacré rite initiatique ! Mon nichoir est encore dans le jardin, un peu couvert de mousse maintenant.

Les années 2000 ont été celles de grands scandales concernant principalement les écoles Steiner : dérives sectaires, épidémies de rougeoles (parce que les parents refusaient les vaccinations)…

On ne peut pas les nier mais je ne saurais vous en parler car je ne les ai pas vécu. Rien ne nous était imposé. Il y avait un esprit d’entraide et parfois communautaire mais jamais sectaire. Je n’ai pas non plus le sentiment d’avoir grandi « en-dehors du monde ».  Mes parents nous emmenaient à Mc’do, je possédais à coté de mes jouets en bois des Barbies. Bien sûr, lorsque ma mère venait préparer exceptionnellement des frites pour le déjeuner à l’école, certains parents grinçaient des dents mais tous les enfants étaient contents. Il y avait un air de fête qui n’était en rien contradictoire avec l’esprit de l’école.

Tout cet état d’esprit est lié à une culture alter-mondialiste, biologique, écologique, etc. Mais libre à chacun d’y trouver son équilibre. La plupart des thématiques développées à l’époque sont aujourd’hui normalisées : on trouve des rayons bio dans les grandes surfaces, l’écologie est enfin un sujet critique… Et l’éducation s’inspire maintenant de principes pédagogiques alternatifs !

Jeune adulte, je ressens encore les bénéfices de ces trois années qui ont été décisives.

Premier jour d’école, septembre 1998.

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