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Comment corrige-t-on les copies du bac de philo ? Le témoignage d’un prof.

Posté par Beaumont 4 juillet 2018

 

En tant que prof de philo, une des premières questions que l’on me pose porte bien souvent sur la façon dont on note les copies. Je me sens alors comme un bébé hérisson coincé entre un coin de mur, deux lampes frontales et trois paires de chaussures énormes : je peux me rouler en boule et fermer les yeux, mais nul moyen de m’échapper !

Beaucoup de légendes circulent en effet sur la façon dont sont notamment évaluées les copies du bac. Notation aléatoire ou subjective : le/la professeur.e noterait ou bien selon ses petites allergies personnelles (les fautes d’orthographes), ou bien selon son humeur du moment, ou bien en s’en remettant au hasard des marches d’escalier…

Je vous livre mon petit témoignage pour vous montrer que, malheureusement, les cas que je viens de citer sont à peine des caricatures, et que force est de reconnaître que la notation du bac de philo se rapproche davantage de la divination que de la science exacte. J’essaierai dans un deuxième temps de suggérer quelles sont les causes de ce scandale.

* * *

Tout commence le lendemain de l’épreuve de philo du bac. Tou.te.s les professeur.e.s de l’académie se retrouvent pour la grande messe que l’on appelle la « commission d’entente ». On démarre théoriquement à 9h. L’essentiel du contingent arrive en général entre 9h et 9h15, et chacun bavarde quelques 20 minutes avec allant avec des collègues que pourtant il n’apprécie guère – divergence philosophique oblige – et que par bonheur il ne croise que 2 ou 3 fois par an. 9h30, l’inspectrice armée de son plus beau sourire commence à pousser le troupeau vers les chaises vides. 9h45, elle commence son discours. Nous faisons mine de l’écouter religieusement. S’ensuit une bonne demi-heure d’informations peu utiles, sur les formations de l’année suivante, sur le décès de M. X, retraité décédé récemment, inconnu au bataillon (je suis jeune en même temps!) et qui a tant apporté à la philo dans l’académie, etc. 10h30, l’appel commence : tou.te.s les profs sont appelé.e.s chacun.e leur tour, selon un ordre absolument mystérieux (ce qui oblige le donneur de voix à hurler plusieurs fois le nom du distrait) pour venir chercher son cadeau du mois de juin : un gros paquet scellé contenant entre 100 et 150 copies (cela peut aller jusqu’à 200 pour quelques collègues dans certaines académies!!).

Deuxième partie de la matinée. Nous sommes dispersé.e.s dans des salles de classe selon la série que nous corrigeons. Les S dans telle salle, les ES dans une autre, etc. Sur les coups de 11h, nous sommes donc une trentaine et nous commençons à bavarder sans ordre ni méthode sur les sujets qui sont tombés. Théoriquement, il y a deux « coordinat.eurs.rices » qui mènent les débats, distribuent la parole, et ramènent à la saine raison les collègues qui commencent à délirer. Ce qui est tacite ici, c’est que tout le monde sait que, parmi tous les correct.eurs.rices présent.e.s, il y a « bidule » qui note ultra sec, et « machin » qui délire complet dans ses critères de notation. La commission d’entente a donc en quelque sorte pour rôle de leur rappeler quelques règles élémentaires. Car des règles il y en a quand même quelques-unes ! Par exemple : 5/20 ou moins, c’est réservé aux « non-copies », c’est-à-dire aux copies qui « ne jouent pas le jeu », ne « traitent pas sérieusement la question posée », et démerdez-vous avec ces formulations ! Donc si y a 6 pages avec intro – développement – conclusion, et que ça parle du thème de la dissertation, tu dois mettre 6/20 minimum. C’est pas compliqué à retenir mais chaque année il faut le marteler à nouveau aux dur.e.s de la feuille.

Après avoir énoncé des propos très généraux sur les sujets, en ne s’écoutant pas mutuellement, en se coupant la parole et en essayant de montrer qu’on en sait beaucoup (et je parle surtout ici des collègues mâles, car force est de constater que les femmes, qui sont presque aussi nombreuses, ne disent quasiment rien!), on passe à la deuxième phase, de loin la plus intéressante de toute la journée. Les coordinat.eurs.rices nous distribuent des copies, issues de leurs propres paquets, qu’ils ont photocopiées pour tout le monde. L’un.e d’entre nous – presque toujours l’un – lit une première copie, sur le premier sujet, à haute voix. Armé.e.s d’un stylo pour les plus professionnel.le.s, ou fermant les yeux d’un air pénétré pour d’autres, nous corrigeons tous la même copie, puis nous mettons chacun une note. Ici les méthodes divergent. La plupart du temps, le/la coordinat.eur.rice dit : « Qui met moins de la moyenne ? » ; « Qui met entre 6 et 8 ? » ; « Qui met plus de 12 ? », etc. Et chacun (en vérité seulement ceux qui osent s’affirmer) tente de justifier son point de vue. Mais certain.e.s vont plus loin et proposent de mettre la note à bulletin secret, et de dépouiller ensuite. Cela prend plus de temps, mais cela est plus révélateur, car chacun met la note en son âme et conscience sans être influencé par les « grandes gueules » qui s’empressent de donner leur sentence catégorique.

À quoi ce petit exercice est-il censé servir ? À s’entendre sur notre manière de noter, pour qu’elle soit la plus homogène possible. Quelle conclusion en tire-t-on généralement ? Que c’est peine perdue, et que c’est comme chaque année la même mascarade ! J’ai déjà vu des notations d’une même copie (à bulletin secret!) allant de 6 à 16/20 !!! Avec des justifications complètement délirantes, du genre : « Il tartine celui-là mais ça sent le réchauffé (comprendre : l’Anabac acheté le 30 mai) ». Plus raisonnable, il y a l’éternel dissensus entre les grincheu.x.ses qui disent « Y a aucune réflexion personnelle, pas de problématique, … » et les bisounours qui disent « c’est maladroit, mais on sent qu’il y a un effort et du travail quand même ! ».

Au final, ces dernières années, je m’étais dit, c’est simple, il y a trois catégories :

1) Une minorité d’égaré.e.s, qui après 30 ans d’enseignement ont fait de la dissertation un exercice inédit, pondu par leur propre imagination, et qui attendent que des élèves qu’ils/elles n’ont jamais rencontrés devinent ce qu’ils/elles ont dans la tête.

2) Une petite moitié de profs sévères, soit des jeunes profs qui se rappellent leur dissert de CAPES, soit des vieux frustrés qui ont eu 14 au bac (« parce que c’était autre chose avant, hein ! »), et qui pour rien au monde ne mettraient davantage à un.e petit.e merdeux.se né.e au XXIè siècle.

3) Une petite moitié de prof raisonnables, qui ont autour de 10 de moyenne, et qui savent mettre 6 quand y a rien, et qui savent aussi se réjouir de voir des copies sérieuses et réfléchies, et qui montent sans problème jusqu’à 20/20. Bon, je vous avoue que chaque année je prie (c’est la seule occasion où je peux m’adonner à cette pratique désuète) pour que ce soit sur cette dernière catégorie que tombent mes élèves !!

*

Jusqu’à cette année, je m’étais donc arrêté à ce grossier portrait des correct.eurs.rices de philo. Cette année j’ai révisé mon jugement. En effet, je me suis livré à une petite expérience lors de la deuxième commission : la « commission d’harmonisation » (notez l’ambition démesurée du titre!) qui suit de 10 jours la première. Nous sommes censés avoir corrigé quasiment toutes nos copies, afin d’« harmoniser » nos notes. Ainsi, on fait relire à un.e collègue les copies auxquelles on a mis 5 ou moins : donc en gros on se tape un tiers du paquet des collègues de la 2e catégorie, et on essaie de négocier avec eux/elles pour qu’ils/elles remontent d’un ou deux points les notes de leurs victimes. Puis, on peut éventuellement lire devant les autres des copies dont la notation nous a posé problème. Enfin on « se fait plaisir » en lisant un ou deux 18 ou 20/20, en feignant l’extase alors qu’on a tous juste qu’une envie : aller déjeuner car il est déjà 13h !!

Ma petite expérience donc : j’avais dans mon paquet une copie qui m’a enchanté, et qui en même temps me posait problème. J’avais corrigé une trentaine de sujets de ES « Toute vérité est-elle définitive ? ». Presque toutes me sortaient une soupe relativiste insupportable : « ma vérité n’est pas celle d’autrui » ; « les vérités sont multiples », etc., se montrant incapables de distinguer le concept de vérité des concepts de croyance ou d’opinion. Or, je lis une copie d’à peine 3 pages, qui au prix de quelques maladresses d’expression, et sans faire explicitement la distinction entre opinion et vérité, parvient tout de même à me démontrer – presque comme le grand philosophe Leibniz mais sans le citer – qu’il faut distinguer les vérités empirique et contingentes venant des sens et les vérités nécessaires issues de la raison, et que seules ces dernières sont définitives. Transporté d’enthousiasme, et comparativement aux autres copies ayant traité ce sujet, je mets 15/20, en me demandant quand même si je ne délire pas un peu, car c’était vraiment peu approfondi, il n’y avait aucun philosophe cité, et l’introduction était maladroite à plusieurs égards.

Je débarque donc à la réunion d’harmonisation. Dans notre salle, nous étions divisés en 4 groupes. Je commence par effacer la note de 15 écrite au crayon de papier, et demande aux collègues de mon groupe de relire la copie chacun pour soi. Le premier qui la relit, un pote qui était à côté de moi, avait vu que j’avais d’abord mis 15. Il la relit en premier en me dit : ouais c’est pas mal, peut-être pas 15 mais bien 13 oui. Je la passe ensuite au coordinateur, qui a de la bouteille et inspire aux collègues une certaine autorité charismatique. Il me dit : « y a quand même pas grand-chose, c’est le genre de copie auquel je mettrai 7 ou 8 ». Trois autres collègues, qui avaient entendu la sentence du mâle alpha, lisent ensuite également ma copie et disent « oui, 8 ou 9 peut-être ». Je n’essaie pas plus que ça d’argumenter, me contentant de dire qu’elle me posait problème.

Vient alors le moment où on lit à haute voix certaines de ses copies devant tout le monde. Je me propose de lire la mienne, déjà vue par 7 ou 8 collègues. Je prends ma plus belle voix et je la lis comme si je lisais un texte de Leibniz à une classe. Silence embarrassé à la fin de ma lecture. « Alors ? » finit par interroger la coordinatrice. Les plus hardi.e.s sortent du bois : « c’est un peu court, mais y a quelque chose, 9 ou 10 ». Les collègues qui avait déjà lu la copie me disent : « ah c’est vrai qu’après t’avoir écouté, on a l’impression que c’est mieux ». Le coordinateur charismatique maintient son 8. C’est alors qu’une, puis deux collègues qu’on n’avait jusque là pas entendues, demandent, en levant la main, à prendre la parole. Et elles font remarquer, d’un air bienveillant mais agacé : « Mais y a quand même dans cette copie un réel travail conceptuel, qui est exactement ce qu’on attend des élèves ! » ; ou : « comment peut-on mettre à cette copie la même note qu ‘à la copie précédent, bavarde et méthodique mais vide de concept !! », etc. Et elles estiment qu’il faut mettre au moins 13, voire 14-15. C’est alors que je dis que j’avais mis 15 avant d’effacer, et que je tente de me justifier. Stupeur de beaucoup, dont le correcteur charismatique, qui finit par concéder qu’il est embarrassé et qu’il montrait peut-être jusqu’à 9…

Cette petite expérience ne m’a pas tellement surpris mais ne m’en a pas moins mis en colère, car je me suis rendu compte que beaucoup de collègues que je jugeais très raisonnables se sont à mon sens eux aussi fourvoyé.e.s. Inutile de vous préciser que j’ai gardé mon 15/20.

* * *

Mais alors pourquoi tant de disparités dans les notations de profs qui pour beaucoup sont des gens tout à fait raisonnables ?!

Commençons par préciser qu’il existe des textes officiels sur la notation des copies de philo. Un texte en particulier a valeur d’instruction nationale : la note de service de 2012, signée par notre bien-aimé Jean-Michel Blanquer, actuel ministre de l’éducation nationale, qui était à l’époque directeur général de l’enseignement scolaire :

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=61108

Ce texte liste une série de principes de notation : « mobiliser une culture philosophique » ; « construire une réflexion pour répondre à une question » ; « poser un problème » ; « conduire un raisonnement de manière rigoureuse, en définissant et en analysant les concepts mobilisés, en appréciant la valeur d’un argument et en discutant une thèse de manière pertinente », etc.

Or, l’application de ces beaux principes est une affaire très épineuse.

1) Premier problème, chacun de ces principes ne fait pas l’objet d’une notation séparée : la culture sur 5 points, le problème sur 4, etc. Il n’y a pas de barèmes en philo ! Le texte le dit clairement : « Ces aptitudes sont évaluées, non comme des items indépendants les uns des autres, mais dans leur ensemble au travers de la démarche singulière de chaque candidat… ». On doit donc noter une singularité par le moyens de principes généraux : on a là une belle problématique à part entière sur laquelle les profs de philo seraient contents de devoir plancher 4h !!

2) Deuxième problème, chaque principe contient des formulations obscures, imprécises, livrées à l’interprétation de chaque correct.eur.rice. Qu’est-ce qu’on inclut dans une « culture philosophique ». Beaucoup la réduisent aux « références », c’est-à-dire aux « auteurs », et oublient que la distinction entre « nécessaire » et « contingent », c’est déjà de la culture philosophique, et sans doute la plus importante. Qu’est-ce qu’un raisonnement « rigoureux » ? à partir de quoi peut-on estimer que cela manque de rigueur ? Qu’est-ce qu’une analyse d’un concept ? Qu’est-ce qu’un problème ? Certain.e.s collègues seraient embarrassé.e.s de devoir répondre à ces questions.

Cette indétermination de l’évaluation des épreuves du bac répond logiquement à l’indétermination des programmes eux-même. Nous sommes censés voir une liste de notions – une vingtaine dans l’année en ES – un peu moins pour les S, un peu plus pour les L. Par exemple : l’art. Cependant, la question de dissertation qui tombe au bac va être, comme cette année : « Peut-on être insensible à l’art ? ». Le/la collègue qui a passé 3 semaines sur l’art a bien fait son boulot. Sauf qu’en trois semaines, il/elle aura parlé 1) de l’activité de création de l’artiste ; et 2) de l’influence de l’art sur la société. Il/elle aura donc bien travaillé avec ses élèves 2 problématiques sur l’art. Or, cette notion peut poser au moins 4 ou 5 problèmes, dont le problème de la réception et de la sensibilité à l’art, qui est tombé cette année, et qu’il/elle n’aura donc pas traité en cours. Et pourtant, en passant trois semaines sur l’art, il/elle aura bien fait son boulot et sera irréprochable. Certes, ses élèves pourront recycler quelques exemples d’œuvres dans leur copie. Mais ce sera déjà plus compliqué de recycler les raisonnement des auteurs. J’ai lu pas mal de copies me parlant de la critique de l’art par Platon. C’était parfois bien fait. Problème : le lien avec la question posée était très artificiel, puisqu’en effet Platon ne traite pas du tout la question de la sensibilité dans le passage restitué. Les élèves ont pourtant utilisé ce qu’ils/elles ont appris en classe, afin de nourrir leur réflexion. Que leur demander de plus ? Et sans doute certain.e.s collègues en les lisant auront eu la tentation de noter dans la marge : « hors-sujet ».

Autant donc le dire clairement : il est impossible de préparer correctement aux épreuves du bac de philo nos élèves, étant donné la nature du programme et la nature des exercices du bac. C’est ce qui peut aussi expliquer la difficulté que nous avons à les évaluer de façon objective.

En somme, mon avis est que les exercices de philo sont très insuffisamment déterminés, et que cette indétermination a une conséquence grave : on n’évalue pas des qualités scolaires, celles-là même que l’on est censé enseigner (analyser un concept, restituer une culture philosophique), mais des qualités rhétoriques et argumentatives très générales, que l’élève a pu acquérir par ailleurs dans sa scolarité et, surtout, dans son milieu familial. Les rapports de l’APPEP eux-même vont dans ce sens. En effet, celui ou celle qui aura l’habitude de discuter et d’argumenter autour de la table avec papa et maman, pour savoir si les pauvres sont responsables de leur pauvreté, ou bien si Les Intouchables c’est autant de l’art que Bergman, celui ou celle-là sera mieux armé pour le bac de philo que celui ou celle qui aura consciencieusement préparé ses petites fiches bristol toute l’année à partir de son cours. L’épreuve de philo au bac est l’épreuve reine de la sélection par la naissance et de la violence sociale. Celui ou celle qui possède déjà la culture légitime, plus que dans toutes les autres matières je crois, comprendra plus vite que les autres ce qu’on attend de lui/elle, et aura déjà les compétences pour y répondre. C’est en tant que prof de philo attaché à l’enseignement de la philosophie au lycée que je le déplore et le dénonce. Rendre la philosophie plus scolaire, en déterminant mieux les programme et les épreuves, permettrait à mon sens de la rendre plus sérieuse, plus crédible aux yeux du grand public, et en même temps plus démocratique.

Ou sinon, il y a aussi une autre solution plus simple encore : arrêter de mettre des notes aux élèves… mais c’est encore un autre débat !

Dans tous les cas, à la veille des résultats du bac, l’élève qui aura reçu une mauvaise note pourra se trouver une bonne excuse dans cet article !

9 Commentaires

Frédéric Le Plaine 4 juillet 2018 at 19 h 33 min

Formidable témoignage ! J’espère vous compter parmi les adhérents de l’ACIREPh !

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Bouchet 5 juillet 2018 at 17 h 26 min

J’échangerais bien volontiers sur ces questions à l’ACIREPh où dans tout lieu où l’on peut contribuer à donner du sens à la philosophie, à porter la passion pour la raison…
Je trouve cet article intéressant car il renvoie un miroir des enseignants de philosophie (même s’il est peut-être un peu déformant, mais parfois pour mieux voir il faut un peu de caricature), et comme tout miroir il dérange. Pourquoi éprouve-t-on autant de difficulté à se regarder ?
Depuis que j’ai franchi le pas de demander une disponibilité de l’éducation nationale et de vivre (modestement) de mon autoentreprise, j’ai pris un peu de recul voici un petit résumé de l’analyse que je fais.
Il me semble que la philosophie aurait à gagner si les lycéens comprenaient par exemple qu’il ne s’agit pas seulement d’une discipline pour passer son bac mais qu’elle apporte aussi beaucoup en dehors, dans la cité, dans la vie professionnelle, associative, sportive, amoureuse. Bref, au coeur de la vie d’humain, elle donne du sens !
Certains le comprennent grâce au passage par la terminale mais c’est quand même une minorité, si j’en juge d’après les forts a priori à l’égard de la philosophie que je rencontre en allant ici et là : entreprises, prisons, clubs de sport, villages, conseils municipaux.

Mais il n’est pas facile de décloisonner la philosophie. Quand on est dans l’institution on se sent remis en question par ceux qui sont à l’extérieur et on a vite fait de les juger : « au service du capitalisme », « philosophes mercenaires », « communicants », voici les qualificatifs auxquels ont droit ceux qui sont dehors. Quand on est dehors, il arrive aussi que soient discrédités ceux qui sont dedans : « fonctionnaires frileux », « au service d’un système qui reproduit les inégalités », « conformistes », « attachés à leur planque » bref, toutes sortes de nom d’oiseaux de part et d’autre. Chacun cherchant à se définir contre l’autre, chacun se sentant remis en question par l’autre et préférant rejeter que se remettre effectivement en question (ce qui n’est pas une attitude très philosophique..).

Comment faire pour opérer ce décloisonnement ? Comment faire pour transmettre au sein même de l’éducation nationale, la pleine valeur de la philosophie et pour faire comprendre aux élèves qu’elle ne se résume pas à une note au bac ?

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Bouchet Laurence 4 juillet 2018 at 20 h 01 min

Je pense que vous avez touché, avec votre article, un point sensible car il fait beaucoup réagir les professeurs du groupe Facebook « enseigner la philosophie »,groupe grâce auquel j’en ai eu connaissance.
En tout cas merci pour ce témoignage. Votre description est fidèle à ce que j’ai vécu pendant les 25 années où j’ai enseigné la philosophie en classe de terminale avant de me dire qu’il était grand temps de quitter cette fonction pour faire de la philosophie autrement. Durant ces années, j’ai été comme vous choquée des écarts de 10 points que j’ai observé moi aussi lorsque nous notions à bulletins secrets. Je partage votre point de vue que finalement s’en sortent les jeunes qui auront bénéficié d’un certain bagage culturel, les autres avec leurs fiches bristol sont perdus. J’ai constaté tout comme vous que lors de ces réunions une immense majorité du temps c’était des hommes qui prenaient la parole, des grandes gueules qui faisaient autorité quant aux femmes, elles étaient généralement en retrait sauf quelques exceptions. Dans ce genre de réunion, il s’agit généralement d’en imposer plus que de penser.
Depuis que j’anime des ateliers de pratique philosophique je constate un rapport au langage qui me semble lié au genre, souvent les hommes veulent prouver qu’ils savent et souvent ils n’aiment pas que la femme que je suis les invite à critiquer eux-mêmes ce qu’ils pensent. Analyser le rapport au langage de notre société et notre éducation produit me paraît passionnant.
Mais pour en revenir à l’éducation je pense qu’il faudrait commencer très tôt à entrainer les enfants au questionnement, à la formation d’arguments, d’objection etc. C’est d’ailleurs ce que je m’efforce de faire puisque je travaille maintenant entre autres lieux, avec des enfants d’écoles primaires.

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Beaumont 5 juillet 2018 at 22 h 45 min

Merci, Laurence, pour votre commentaire ! Je pense que vous avez raison d’essayer d’exporter la philosophie hors des classes de terminales, pour qu’elle infuse la société, autrement que sous la forme des « penseurs » médiatiques installés qui publient leurs leçons de sagesse grand public à chaque rentrée éditoriale. Pour ma part je suis encore enthousiasmé par mon métier (je suis encore loin des 25 ans de carrière !), parce que bien au-delà des notes je sens que ce que je fais avec mes élèves tout au long de l’année a du sens, pour moi et, je l’espère, pour eux aussi. Je voudrai me mobiliser pour réformer de l’intérieur l’enseignement de la philosophie tel qu’il existe déjà – en ce sens l’Acireph animée par Frédéric Le Plaine est une voie que je découvre et qui me paraît également intéressante.

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Bouchet 6 juillet 2018 at 6 h 01 min

Bonne chance à vous, pour réformer l’enseignement de la philosophie de l’intérieur. C’est ce que j’ai cherché à faire de mon côté pendant ces 25 années mais sans me faire aucunement entendre à part des inspecteurs qui faisaient des rapports très élogieux de mon travail et bien sûr l’éloge est une belle façon de faire taire. Mon travail s’appuyait beaucoup sur du questionnement socratique, en poussant les élèves à oser penser plutôt qu’en leur faisant un commentaire sur le fameux texte de Kant « Qu’est-ce que les lumières). En leur faisant travailler le questionnement, la rigueur de l’argumentation, de la critique (interne ou externe) en les faisant réfléchir ensemble sur des textes d’auteurs classiques plutôt qu’en leur faisant des commentaires magistraux où je pouvais me faire plaisir à moi-même mais dont ils ne retiraient pas grand chose. En les bousculant aussi (je pense que l’apprentissage implique une certaine violence, celle de s’arracher à soi-même. D »une certaine façon d’ailleurs votre texte est violent, si on en juge par les réactions très vives qu’il suscite sur le groupe Facebook. Je trouve ces réactions intéressantes à questionner. Pourquoi les professeurs se sentent-ils attaqués ? Pourquoi éprouvent-ils le besoin de se défendre ? En se défendant de la sorte défendent-ils la philosophie ou l’image qu’ils se sont d’eux-mêmes ? Si vous écriviez vraiment n’importe quoi comme ils le prétendent, ils n’auraient aucun besoin de s’indigner de vos propos comme ils le font).
Bref il me semble que c’est un certain rapport au savoir qui mérite d’être interrogé, un rapport au savoir bien français car c’est un peu différent dans d’autres pays, l’Espagne, le Québec, la Belgique pour ce que j’ai pu constater de mon point de vue partagé par quelques philosophes praticiens.

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rodriguez JULIEN 5 juillet 2018 at 21 h 48 min

Je suis en partie d’accord avec la fin du texte et l’exemple sur l’art et l’indétermination du programme. En revanche, la notation n’est pas aussi aléatoire que ce qui a été décrit. Le raisonnement repose sur une expérience beaucoup trop partielle : ce n’est pas parce qu’une copie pose problème et entraîne une divergence entre les correcteurs qu’on peut en conclure que, d’une façon générale, les notes sont fantaisistes. Cette copie est, l’auteur le reconnaît lui-même, gênante car elle cumule de grandes qualités et de grands défauts ; en général, les copies sont plus homogènes : l’élève qui manifeste des bonnes capacités de réflexion connaît souvent bien son cours et la copie incapable de mobiliser un cours est souvent tout aussi incapable de manifester des compétences scolaires. Bref, en s’appuyant sur une copie qui fait exception, on prétend justifier une affirmation générale ; c’est comme si on disait que, sous prétexte qu’il neige parfois en avril, il n’y a aucune régularité dans les températures. Il faudrait faire une étude beaucoup plus poussée, s’appuyant sur des grands nombres pour prouver quelque chose de solide.
En outre, la description des réunions d’harmonisation et d’entente ne correspond pas à ce que je connais. Dans notre académie, les réunions sont plus constructives, mieux organisées et plus efficaces (et elles commencent à l’heure, avec trois heures entières consacrées à s’entendre avant de corriger et à harmoniser après coup les notes). Mais pour que cela soit possible, il faut, dès le départ que chacun accepte le principe que la notation est collective et soit prêt à tenir compte de l’avis des autres pour moduler sa propre appréciation. Or l’auteur de ce texte refuse cette règle, puisqu’il maintient son 15/20, sans que cela ne fasse l’unanimité. Il aurait fallu que la discussion se prolonge jusqu’à parvenir à un consensus (par exemple autour de 12). Evidemment, si on se réunit seulement pour constater qu’on n’est pas d’accord avec les autres et faire le paon, ces réunions ne servent à rien ; mais il appartient aux professeurs présents d’en faire autre chose.

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Laurence Bouchet 6 juillet 2018 at 6 h 30 min

En philosophie au bac, on note rarement la qualité argumentative et le véritable effort de réflexion d’un élève, j’ai pu l’observer comme ce collègue, pendant les 25 années durant lesquelles j’ai enseigné en terminale. Vous me direz que c’est une observation particulière, mais demandez-vous si elle n’est pas généralisable. On notre bien davantage la façon dont l’élève saura répéter son cours en harmonisant tout cela dans une composition qui semble dialectique. Comme le dit l’auteur de l’article cela favorise une certaine catégorie d’élèves mais pas la qualité de la réflexion. Notre mode d’enseignement pousse à se contenter de répéter avec plus ou moins d’aisance sans s’aventurer à questionner et à inventer des hypothèses.
Il me semble que vous-même ainsi que beaucoup de collègues du groupe Facebook, cherchez à vous défendre. Vous vous sentez attaqués mais pourquoi ? Soit l’auteur dit faux et donc à quoi bon sortir les armes, la vérité s’imposera d’elle-même : la notation en philosophie est objective soit il dit juste ça bouscule un peu mais on peut le remercier de favoriser la remise en question. En lisant les commentaires FB, on observe des personnes qui veulent se défendre et sont prêtes à attaquer plutôt que des personnes qui veulent se poser et réfléchir.
Pour aller un peu plus loin deux questions pour lesquelles je n’ai pas encore cherché d’hypothèse de réponse, en avez-vous ? 1.Pourquoi accorde-t-on tant d’importance à la note ? 2.Pourquoi la philosophie est plutôt mal perçue dans les milieux populaires ?

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rodriguez JULIEN 9 juillet 2018 at 23 h 06 min

Laurence Bouchet, il me semble qu’ici la discussion glisse par rapport à la question de départ : on passe de « la notation est-elle purement arbitraire et fantaisiste, avec des variations de 8 à 15 selon la personnalité du correcteur ? » à « la notation en philosophie sanctionne-t-elle davantage une aisance rhétorique ou une véritable réflexion personnelle ? ». Je répondais simplement à la première question, en faisant remarquer que le raisonnement de Beaumont est maladroit puisqu’il s’appuie sur une copie dont Beaumont lui-même reconnaît que c’est une copie atypique et difficile à évaluer. Ici je répète ce que j’ai dit : oui de telle copies existent, oui elles posent problème et la réunion d’harmonisation sert préciser à les régler (pour peu que tout le monde accepte le principe d’une harmonisation). Par ailleurs, j’ajoute un nouvel argument empirique à ma thèse, mon témoignage portant sur des dizaines de copies : il y a quelques jours sortaient les résultats du bac et j’y ai constaté, comme chaque année quasiment, que les notes de mes élèves à l’examen ne sont pas très éloignées de leurs notes pendant l’année. Ce qui m’invite à penser que la notation n’est pas si fantaisiste.

Quant à la suite de votre réponse (le §2), elle est tout de même étrange :a) le fait qu’on réponde de façon argumentée à une accusation boiteuse serait le signe, voire la preuve, que cette accusation était juste, sous prétexte qu’il n’y a que la vérité qui blesse ; b) lorsqu’on subit des critiques injustes, il est inutile de se défendre, parce que le vérité s’impose d’elle-même.
Avouez que c’est quand même très faible comme réponse à l’objection que je formulais. Si on suit le a), alors toute personne qui se défend au tribunal ou sur la place publique contre le premier sycophante venu devrait finir en prison… sa seule défense est donc de se laisser accuser sans broncher et d’attendre que la vérité s’impose d’elle même, en vertu de la proposition b). Mais depuis quand les vérités s’imposent-elles d’elles-mêmes ? Depuis quand la vérité est-elle nécessairement plus forte que les préjugés ? Et surtout comment s’imposerait-elle, si personne n’a le droit d’argumenter pour la défendre, sous prétexte que le simple fait d’argumenter prouverait que ce n’était pas une vérité, puisqu’elle ne s’est pas imposée d’elle-même ?

Quant aux commentaires FB, je ne me prononce pas, je ne les ai pas lus.

Vous voyez, je l’espère, que je ne rejette pas par principe toute critique et que je suis prêt à me poser et réfléchir. D’ailleurs, je répète que l’article de Beaumont pointe de vrais problèmes, lorsqu’il prend l’exemple d’un cours sur l’art. Toutefois, être ouvert à la critique, cela ne signifie pas accepter n’importe quelle critique lorsqu’elle est faiblement argumentée.

Quant aux deux nouvelles questions proposées en élargissement, elles sont intéressantes, mais mon temps n’est pas infini et vous me permettrez de ne pas y répondre ; je souhaitais simplement réagir au premier point et dire que la notation n’est pas aussi arbitraire que ce que l’article de Beaumont laissait penser.

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Bouchet 10 juillet 2018 at 11 h 23 min

« Quant aux deux nouvelles questions proposées en élargissement, elles sont intéressantes, mais mon temps n’est pas infini et vous me permettrez de ne pas y répondre  » cette phrase est vraiment très jolie.. »connais-toi toi-même », c’est la formule qu’on attribue à Socrate, voyez-vous ce que cette vos mots disent de vous-même ?

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